Le soir de Rosh Hashana, nous nous installons pour un seder*. Comme pour Pessa’h nous mangeons des aliments bien particuliers dont le nom ou le goût sont en rapport avec nos souhaits pour la nouvelle année. Le Seder de Rosh Hashana est une coutume très ancienne, ni sepharade, ni ashkénaze, elle était déjà observée aux premiers siècles de l’ère chrétienne. Elle est mentionnée dans le Talmud Bavli* en arameen* :
”אמר אביי: השתא דאמרת ‘סימנא – מילתא היא’, יהא רגיל איניש למיכל ריש שתא: קרא ורוביא, כרתי, סילקא
ותמרי
ou si vous préférez: selon Abbaya*: Maintenant que tu as insisté sur l’importance des symboles , tu dois manger à Rosh Hashana de la courge, des haricots, du poireau, des épinards et des dattes.
Et les sages du Talmud, toujours friands d’acrostiches (comme pour le seder de Pessa’h) inventèrent le mot קרכס »ת, karkast, composé des initiales de ces différents mets. Et comme ils étaient aussi très friands de discussions, il discutèrent pendant des siècles pour savoir s’il fallait les manger ou seulement les voir, en se référant à la coutume de Rabi ‘Hai Gaon* qui était de présenter ces aliments et non pas de les manger. Evidemment, ce fut la déclaration d’Abbaya qui obtint les suffrages car comment ne pas manger un soir de fête?
Et non seulement les Juifs les mangèrent mais en ajoutèrent bien d’autres, en remplacèrent certains, selon la région où ils habitaient.
Mais en fait pourquoi une telle coutume?
C’est qu’avant de les manger ces aliments, nous prononçons à chaque fois une bénédiction. Certaines contiennent des souhaits de bonne année et de perfectionnement de notre conduite. Mais d’autres sont bien moins politiquement correctes puisque nous y souhaitons la disparition de nos ennemis, non pas de nos ennemis personnels qui ont peut-être de bonnes raisons de ne pas nous apprécier, mais des ennemis de notre peuple qui- et là, nous retrouvons la phrase de la Haggadah de Pessah- se lèvent à chaque génération pour nous exterminer.
Ainsi pour chaque aliment, nous présentons une supplique en corrélation avec le nom en hébreu du nom de l’aliment en question, ou parfois sa forme:
En premier, vient la pomme avec laquelle on se souhaite mutuellement une bonne année en la trempant dans du miel. Bien que le mot tapoua’h apparaisse dans le Shir hashirim (cantique des Cantiques), nous savons que la pomme a été introduite bien plus tard au Moyen-Orient. Qu’est-ce donc alors que ce tapoua’h, qui réconfortait l’amante du Shir hashirim?
Selon certains linguistes, le mot tapoua’h dérive de la racine נפח (= souffler parfumer), et signifie donc le fruit parfumé. Pour d’autres il dérive de de la racine תפח ( tafa’h) gonfler, devenir ou être rond. Alors fruit parfumé, pas vraiment, fruit rond? Comme la plupart d’entre eux.
Un des grands botanistes du 19ème siècle plaida pour l’abricot: il est parfumé et rond! De plus ajouta-t il doctement, l’abricotier a été introduit en Eretz Israel à l’époque de Noa’h. Il est vrai que cette affirmation est celle du célèbre chanoine Tristram* qui écrivit « L’histoire naturelle de la Bible » et qui suis-je pour le contredire?
Il est possible que le mot tapoua’h, le fruit rond, renflé, ait été tout simplement le mot générique pour fruit.
C’est ainsi qu’en anglais et en français, les mots apple et pomme furent eux aussi utilisés pour parler des fruits en général. De là est né le terme français pour pomme de terre. L’hébreu a adopté aussi la pomme de terre, תפוח אדמה (tapuach adama). Plus récemment, dans les années 1940, le linguiste Yitzchak Avi-Neri a inventé le mot תפוז (tapuz), un acronyme de « tapuach zahav » תפוח זהב – « pomme d’or » – pour parler des oranges. En fait, il a utilisé les pommes d’or qui apparaissent dans le livre de Mishlei-Proverbes.
Des pommes d’or dans des vases d’argent ajourés, telle une parole prononcée à propos
תַּפּוּחֵי זָהָב, בְּמַשְׂכִּיּוֹת כָּסֶף– דָּבָר, דָּבֻר עַל-אָפְנָיו)
En fait, quelque soit le fruit, ce qui compte surtout c’est qu’il soit trempé dans le miel, car Eretz Israel est la terre du lait et du miel.
Nous consommons aussi des grenades et des grains de sésame pour que nos mérites soient aussi nombreux que leurs grains, des dattes pour que nous nous élevions en justice aussi haut que le palmier.
Je n’ai jamais aimé présenter une tête de poisson sur la table de fête. Et pourtant, que faire? Le poisson est symbole de fertilité dans tout le Moyen-Orient et j’ai terriblement besoin d’idées fertiles! De plus, nous le mangeons en récitant cette phrase: que nous soyons toujours en tête et non pas en queue! Ah le pieux souhait de tous les parents juifs: soyez les premiers à l’école! Bref, impossible donc de s’en passer. J’ai donc décidé de présenter un poisson en pâte brisée, fourrée aux olives et au thon, et qui sourit, bien sûr, c’est Rosh Hashana!
Mais pourquoi mangeons nous ces deux légumes: les betteraves (ou feuilles de bettes ou épinards) et les poireaux? Pour nous débarrasser de nos ennemis!
Le poireau* se disait autrefois karti, si proche à l’oreille du verbe כרת Karat, extirper, retrancher. En le consommant nous demandons à Dieu de supprimer ceux qui nous veulent du mal, comme il est écrit dans le livre du prophète Mikha (Michée 5,8) : Tous tes ennemis seront exterminés.
Quand aux betteraves, leur nom est סלק (selek), ce qui nous fait penser à la racine SLK, chasser, renvoyer.
Nous contenterons-nous d’expulser nos ennemis? Du moment qu’ils ne reviennent pas!
Et la courge, me direz-vous? Pourquoi en mangez-vous?
En hébreu, la courge se dit דלעת (dlaat) mais Kara en araméen. mot similaire au verbe קרע (Kara), déchirer. En les dégustant à Rosh Hashana, nous espérons que tous les jugements les plus durs à notre encontre seront déchirés et que tous nos mérites, nombreux forcement grâce aux grains de grenade, seront jugés favorablement le jour de Kippour où nous serons inscrits dans le livre de la vie.
Superstition comme le prétendait une de mes connaissances? Non, personne ne pense que les poireaux et les betteraves vont nous débarrasser de nos ennemis, ou que l’année nous sera douce parce que nous aurons trempé une pomme dans le miel. Ces légumes et ces fruits sont appelés סימנים (simanim), signes: pour chacun, nous remercions Dieu de ce que nous avons déjà, pour les fruits de la terre et des arbres et chacun d’entre eux nous rappelle ce vers quoi nous tendons: une vie plus morale et un peuple enfin libéré de cette haine gratuite qui l’entoure. Ce sont ces repères qui marquent les étapes de notre vie, les pierres sur le chemin אבני דרך (avnei derekh). Ce sont de délicieux repères, un peu comme le ‘Harosset, délicieuse argile du Seder de Pessa’h*.
Merci pour tout ce que tu as créé, merci pour ce que tu m’as donné: la lumière dans les yeux, un ami ou deux, merci pour tout ce que j’ai au monde, pour le rire d’un enfant et le ciel bleu, pour ma terre et un endroit où vivre, pour un jour de bonheur, pour l’innocence et la droiture, pour une journée triste qui a disparu, une femme aimante grâce à qui j’existe.
Bonne année 5783
שנה טובה ומתוקה
שנת בריאות אושר ושלווה
A bientôt,
*Si vous voulez tout savoir sur le mot seder:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2013/03/30/tout-est-en-ordre/
* L’araméen:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2021/02/09/larameen/
* Abbaya ou Abbaye: l’un des plus célèbres sages du Talmud Bavli qui vivait au 4ème siècle de l’ère chrétienne _Rabbi ‘Hai Gaon (939-1038): un des plus grands sages de la période des Guéonim en Babylonie.
* Les pommes d’or du livre de Mishlei font référence à une sorte de bijoux:
* Le poireau: De nos jours, nous disons כרישה (krisha), très proche à l’oreille de כריש (Karish), un requin. Ne vous trompez pas de mot chez l’épicier!
* Une délicieuse argile:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2014/04/11/une-delicieuse-argile/
* Tristram Henry Baker (1822-190) chanoine à la cathédrale de Durham (1873), spécialiste de la Bible. Explorateur, géologue, naturaliste et ornithologue (membre fondateur de la British Ornithologist’s Union.