Les affiches de Kinneret

Le choc, l’horreur et l’incapacité d’exprimer avec des mots les atrocités qui ont eu lieu le 7 octobre dans les agglomérations du sud et du pourtour de Gaza, tout cela a commencé à trouver son expression dans des créations artistiques toujours plus nombreuses. Dans un moment comme celui-ci, où même les dirigeants restent silencieux et ne savent toujours pas comment donner une réponse appropriée à leurs citoyens qui souffrent, de nombreux peintres et illustrateurs esayent d’exprimer le cri étouffé de tous les Israéliens.
Certains se concentrent sur le deuil et le choc opposant la joie de vivre au meurtre de masse, d’autres traduisent la douleur de la perte à travers des motifs tels que des trous.

(Aviel Bassil)

Certains choisissent de se concentrer sur l’héroïsme des citoyens qui ont combattu jusqu’à la mort…


L’oeuvre de Kinneret Tsa’h est tout à fait différente. Elle a choisi de réconforter et d’encourager le עורף (Oref), le front intérieur des civils, avec des affiches positives qui incitent à la résistance personnelle au deuil, et à la lutte de tout les jours dans ce qu’on appelle השיגרה (hashigra) la routine quotidienne, et qui mettent en valeur l’héroïsme des femmes, soldates ou non:

La voix des filles d’Israel: Nous tenons nos maisons toutes seules, nous nous occupons des enfants, nous sommes des lionnes au travail, nous avons toutes un couteau entre les dents et ce n’est pas parce que nous avons du style que nous ne savons pas utiliser une arme.


Les mères du front intérieur sont des combattantes du quotidien.

J’ai l’air douce? Ne vous y fiez pas!

Tout depend de toi!

Tu as tout ce qu’il faut!


J’ai immédiatement téléphoné à un ami pour lui proposer mon aide.


Nous nous retrouverons bientôt, Pour un front intérieur fort. Maintenant!


Amour, Foi et prière
Un jour, quelqu’un viendra qui te comprendra vraiment. Tu es incroyable!

Kinneret Tsa’h nous dit:
J’ai concu une centaine d’affiches dans le style de celles qui nous appelaient au combat pendant la guerre d’indépendance. J’y ai mis tout mon coeur pour offrir à notre peuple le courage moral, les prières, l’humour, les blagues, bref, tout ce dont nous avons besoin pour rester forts et courageux. Je ne demande qu’une chose: imprimez-les, distribuez-les autour de vous, accrochez-les à la maison, au travail, à l’épicerie, parce que même un peu peut signifier beaucoup.
Et si quelqu’un vous demande:

Pourquoi faites-vous ceci?
Répondez: Parce que maintenant c’est notre heure, l’heure d’Israel

Son message a commencé à se répandre: des chefs d’entreprise de tout le pays l’ont contactée pour accrocher ces affiches bonnes pour le moral. Des directeurs d’école, des enseignants lui ont demandé des cartes postales pour que les enfants puissent écrire aux soldats et en même temps, des volontaires de différentes régions l’ont rejointe. Ensemble, ils ont distribué des centaines d’affiches et des milliers de cartes postales depuis le début de la guerre jusqu’à aujourd’hui. Vous pouvez voir ces affiches accrochées aux fenêtres du musée de Ramat Gan et sur les bus à Haïfa, à Jérusalem et sur les devantures de nombreux commerces un peu partout en Israel.

A bientôt,

Je vous souhaite un shabbat tranquille et serein

Shabbat shalom
שבת שלום

Quand il pleut…

En Nissan 5708 (avril 1948), se répandit une rumeur selon laquelle les Britanniques avaient l’intention de quitter Jerusalem plus tôt que prévu*. Dans la population juive grandissait la crainte qu’après leur départ, d’importants complexes militaires et civils britanniques soient saisis par les Arabes. Pour éviter cela, le commandant du district David Shaltiel décida d’envoyer une force supplémentaire à Jerusalem. L’unité choisie comme renfort était la brigade Harel* du Palmach sous le commandement d’Yitzhak Rabin, une brigade qui combattait à l’époque dans la zone du corridor de Jerusalem.
L’idée de David Shaltiel était d’occuper un certain nombre de quartiers stratégiques de Jerusalem comme Sheikh Jarra* qui relie la vieille ville au Har Hatsofim (Mont Scopus), Beit Iska et Nabi Samuel au Nord ainsi que le quartier de Katamon plus au Sud.
Tout en haut de la colline de Katamon se trouvait le monastère de San Simon.

(Le monastère San Simon, photo Gil Bregman)

Du monastère on pouvait contrôler les quartiers sud de Jerusalem, comme Talpiot, Mekor Hayim, et le kibboutz Ramat Ra’hel* et empêcher ainsi les troupes de la Légion Arabe de les couper du reste de la ville.

La brigade Harel avait déjà essuyé de nombreuses pertes pour arriver à Jerusalem et les combattants étaient épuisés. Il arrivait que certains s’endorment en tirant déclarera plus tard l’écrivain Yoram Kaniuk…
C’est la que le courage et le charisme d’un officier a sauvé la situation comme le raconte Tamar Gvirtz-Hayardeni*:
Tamar:
-Lors de l’attaque, la brigade Harel s’était fait repérer trop tôt. Les Arabes tenaient le monastère et ils surprirent les soldats juifs dès leur arrivée. Ils en blessèrent et tuèrent un bon nombre. Les commandants de la brigade pensaient battre en retraite.
Au milieu de tout ce chaos se trouvait l’officier Benny Marshak*.

(Benny Marshak en 1949. Wikipedia)

Blessé par une balle à la mâchoire au début du combat, il ne pouvait pas parler. Lorsque Marshak entendit parler de retraite, il se leva, arracha les bandages de sa bouche et leur cria: « Quand tu as froid et que la pluie tombe sur toi, pense que ton ennemi a froid aussi et que la pluie tombe aussi sur lui! Le vainqueur sera celui qui tiendra le plus longtemps .
La vue du « vieil homme » (il avait 35 ans) rugissant passionnément au milieu des éclaboussures de sang qui sortaient de sa mâchoire stupéfia les jeunes hommes qui saisirent leurs armes et regagnèrent leurs positions.

(Combats depuis une des terrasses du monastere San Simon.Wikipedia)

Moins d’une heure plus tard, les troupes arabes battaient en retraite. La victoire sur Katamon et le monastère Saint-Simon fut décisive pour la conquête de tout l’Ouest de la ville et elle sauva la vie des habitants des quartiers Sud. Sur le monument érigé à la mémoire des 18 combattants tués dans les combats, il est écrit :

Ici des vies ont été perdues mais pas notre courage

כאן עזבום החיים ולא עזבם אומץ הלב”.

– « Mes chers amis, continue Tamar Gvirtz-Hayardeni, aujourd’hui nous avons très froid, dans notre corps et surtout dans notre âme et il pleut. Mais notre ennemi a encore plus froid et est coincé dans un tunnel effondré ou dans une tente déchirée à la frontière égyptienne.
Chaque jour qui passe nous semble une éternité, mais pensez à quoi ressemble pour les membres du ‘Hamas une journée comme celle-ci sous la pluie dans la bande de Gaza, sans communication, alors que l’organisation terroriste à laquelle ils appartiennent a déjà perdu des milliers de ses membres… J’ai lu sur le net que certains crient victoire mais ont-ils à manger? Ont-ils des toilettes? Des produits d’hygiène?Et surtout un avenir?
Certains Gazaouis commencent à manifester contre le ‘Hamas. Je ne me fais pas d’illusion, ils sont hypocrites, ils se font photographier à côté de nos soldats en espérant qu’on va les prendre pour de pauvres victimes innocentes. Mais parfois leur colère est palpable: ils ne voient plus l’avantage de détenir des otages si ceux-ci ne leur rapportent plus rien, ils sont furieux des médicaments apportés (officiellement) aux otages alors que le ‘Hamas leur vole les leurs…
Alors que faire des larmes et du désespoir?
Respirez simplement profondément et imaginez Benny Marshak avec sa mâchoire cassée nous serrant dans ses bras et nous murmurant à l’oreille:
Ecoutez mes enfants, il pleut à verse, mais il pleut davantage de l’autre côté. Le gagnant est celui qui tiendra le plus longtemps.« 

En lisant ces paroles de Benny Marshak, je pense à tous nos soldats tellement motivés pour se battre, ces blessés qui retournent au front à peine guéris, et ces lettres-testaments où nos soldats demandent de ne pas risquer la vie d’un seul soldat pour aller rechercher leur corps…

Je pense aussi aux volontaires du 3ème front* qui continuent sans désemparer comme ces héros de Kiriat Shemona :
Dans cette ville, qui reçoit tout les jours des missiles, tous les habitants n’ont pas accepté d’être évacués. Des personnes âgées n’ont pas voulu partir, mais aussi des hommes qui ont mis leur famille à l’abri et sont restés patrouiller armés dans les rues avec le maire de la ville, Avihay Stern.
Je pense à cet épicier qui refuse de fermer, il faut bien les nourrir dit-il, à ce propriétaire d’un restaurant de brochettes qui les prépare maintenant gratuitement pour les soldats stationnés dans le Nord. Et aussi à ce couple, Irena et son mari, propriétaires d’un pressing qui passent leurs journées à faire des lessives et à coudre pour les soldats.
Leur deux fils sont combattants et eux, ils combattent comme ils le peuvent, en faisant des retouches.
La vidéo se passe de traduction:


Et il ne faut pas oublier non plus l’ancien député Yitshak Ouaknin, qui a été évacué du moshav Yaara. Il y a longtemps, il commandait un tank, il s’est spécialisé maintenant dans la préparation de la tehina pour les centaines de repas que son goupe de volontaires sert chaque jour aux soldats.

Je ne sais pas si ces héros ont entendu parler de Benny Marshak mais il est sûr que, malgré toute la douleur et les deuils, malgré l’angoisse quotidienne, et la pluie froide qui tombe à verse cette semaine, il pleut chez nous bien moins que chez l’ennemi…

A bientôt,


* Les rumeurs sur le départ anticipé des Britanniques n’étaient pas exactes, et ils n’ont quitté la Palestine qu’à la fin du mandat, le 15 mai 1948.

* Le kibboutz Ramat Rahel:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2012/10/10/ramat-rahel/

* La brigade Harel:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2014/01/09/les-boulettes-de-la-victoire/

* Sheikh Jarra:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2021/05/10/un-meme-quartier-shimon-hatsadik-sheikh-jarra/

*Benny Marshak (1906-1975): Né en 1906, dans l’empire russe, fils de rabbin, il voit son père être executé par les troupes de Petlioura. Arrivé en 1929 en Eretz Israel, il s’installe au kibboutz Givat Hashlosha. Il intègrera le Palma’h en 1941 et pendant la guerre de l’Indépendance fera partie de la brigade Harel. En 1967, il rejoindra comme de nombreux membres du Kibboutz Unifié (Hakibboutz Hameuhad) le mouvement pour une terre d’Israel Entière (Israel hashelema), c’est à dire comprenant la Judée et la Samarie. Toute sa vie il a continué à servir comme volontaire dans Tsahal.
Une des montées au mont Tsion porte son nom:

* Tamar Gvirtz-Hayardeni est guide à Jerusalem:
https://www.tamar-jerusalem.com/
Elle a deux fils à l’armée dont un qui combat à Gaza

* Le front intérieur:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/11/05/le-front-interieur-le-3eme-front/



https://he.wikipedia.org/wiki/%D7%94%D7%AA%D7%A0%D7%95%D7%A2%D7%94_%D7%9C%D7%9E%D7%A2%D7%9F_%D7%90%D7%A8%D7%A5_%D7%99%D7%A9%D7%A8%D7%90%D7%9C_%D7%94%D7%A9%D7%9C%D7%9E%D7%94

Le mouvement pour une terre d’israel entiere
https://he.wikipedia.org/wiki/%D7%94%D7%AA%D7%A0%D7%95%D7%A2%D7%94_%D7%9C%D7%9E%D7%A2%D7%9F_%D7%90%D7%A8%D7%A5_%D7%99%D7%A9%D7%A8%D7%90%D7%9C_%D7%94%D7%A9%D7%9C%D7%9E%D7%94


Les blessés

Tous les jours nous voyons s’afficher des visages souriants sur les écrans de télévision. Ce sont ceux des soldats tués quelques heures auparavant, avec cette phrase: אותר לפרסום, autorisé à la publication.
Et puis il y a tous ceux dont nous ne voyons pas les visages, ils sont souvent gravement touchés mais heureusement en vie. Les blessés de Gaza les plus touchés arrivent en hélicoptère à l’hôpital universitaire Soroka de Beer Sheva.

Dans ce reportage de la chaîne 11, un journaliste a suivi le Dr Vadim Benkowitch qui dirige le département de traumatol0gie de l’hôpital Soroka.

Dr Benkowitch:
Le 7 octobre, 70 blessés arrivèrent en 70 minutes, des blessés graves. Chaque minute entrait un blessé, en 16 heures nous avons dû traiter 700 blessés. Il n’y a pas de précédent dans le monde occidental.
Mais il y avait quelque chose en plus: nous avons été confrontés à des histoires personnelles telles que je n’en ai jamais rencontré en 30 ans de carrière: soigner une enfant blessée dont la mère a été assassinée sous ses yeux, un autre enfant dont les parents se sont couchés sur lui quand les terroristes ont lancé des grenades. Blessé, il a dû attendre des heures dans le mamad* sous les corps de ses parents avant d’être secouru. Nous avons découvert ce qu’est le Mal, un Mal raffiné. Je n’oublierai pas et ne veux pas que d’autre oublient, c’est pourquoi je raconte tout ça.

Les massacres du 7 octobre n’ont pas épargné non plus son équipe, en particulier Shifra Slotki, une jeune infirmière. Le 7 octobre, les deux frères de Shifra, Noam et Ishay, sont partis aider les habitants de Sderot, armés seulement de leur arme personnelle.
Shifra: Ils ont entendu dire que des terroristes etaient entres dans Sderot et que la ville était restée sans protection de l’armée. Yishay n’a pas réfléchi à deux fois, il n’a même pas demandé combien il y avait de terroristes. Il a amené sa famille chez Noam et est parti. Noam l’a suivi. ils sont sortis vers 8h30 de Beer Sheva en direction de Sderot. Je leur ai parlé vers 9h. Déjà à 9h40 plus personne ne répondait et l’après midi nous avons compris qu’il leur était arrivé quelque chose. Pendant 5 jours ils ont été considérés comme disparus jusqu’à ce qu’on retrouve leurs corps. Ils avaient été tués à l’entree du kibboutz Aloumim.
Après la shiva*, nous avons appris qu’ils avaient combattu tous les deux contre une quarantaine de terroristes, ils ont même utilisé les kalachnilov des terroristes qu’ils avaient tués, environ une vingtaine, tirant sans s’arrêter.

C’est très dur mais je suis en même temps très fière d’eux… Nous étions très proches, toujours ensemble, ce sont des héros..
Dr Benkowitch: Elle n’est pas moins héroine qu’eux, elle est revenue travailler à la fin de la shiva en souriant aux malades avec compassion et noblesse d’âme.
Shifra: La shiva s’est terminée un jeudi, le vendredi j’étais là, c’était dur mais pour moi c’était bien et important d’être occupée et c’est indispensable quand je vois tous ces soldats
Le chirurgien fait sa tournée, s’enquérant non seulement de l’état de leur blessures mais rassurant aussi les parents. Il fait sourire un des blessés: Cela ne t’embête pas d’avoir un golantshik* à côté de toi? Et à un autre: Tu marches, tu t’en es bien sorti, c’est un vrai miracle.
Il explique: 80% des blessés sont hospitalisés dans le service d’orthopédie. Ils sont surtout blessés aux bras, jambes et à la colonne vertébrale car ils portent un gilet en céramique qui les protège

Cela fait déjà deux mois que Vadim Benkowitch passe plus d’heures à l’hôpital que chez lui. Il n’a pas vraiment le temps de se reposer et montre un matelas en mousse toujours enveloppé de plastique qu’il n’a pas pu utiliser.
Il faut savoir aussi que trois des enfants du Dr Bentowitch combattent à Gaza: deux d’entre eux sont dans des commandos et le dernier, âgé de 19 ans, commande un tank. Chaque arrivée d’hélicopter à Soroka l’angoisse profondément.
Dr Bentowitch: Je vis dans la peur. Ma femme et moi, nous vivons dans la peur. Le sort de mes fils, c’est mon point faible. C’est là que je commence à bredouiller. Quand on est au fond du trou, il n’y a plus d’athés, nous prions tous. J’ai déjà dû traiter des amis de mes enfants. Mon fils m’envoit un whatsapp au sujet de blessés qu’il évacue, je les reçois et il s’attend à ce que je lui réponde…
Je voudrais tellement me réveiller de ce cauchemar et continuer ma vie comme avant quand ce n’était ni facile ni simple, très intensif mais où j’avais le contrôle. Ici, je ne l’ai pas.
Il bavarde avec les blessés et leurs parents…
Je leur dis toujours: La guerre est finie pour ton fils, il est vivant et soyez heureux qu’il s’en soit sorti malgré ce qui lui est arrivé, malgré les blessures et aussi parfois l’infirmité avec laquelle il devra vivre.
Il visite un des blessés, Erez Bitton qui peut maintenant s’asseoir. Sa mère, Moria raconte: Ils étaient 8 soldats, l’un d’eux a été tué, les autres ont des blessures de gravités differentes, Erez doit subir encore une opération mais il récupèrera… 70 jours de guerre et d’angoisse, mais nous allons mieux et nous remercions Dieu. Le coup de fil qui nous a le plus rassurés c’est quand nous avons appris qu’il n’était que blessé et qu’on l’emmenait à Soroka.
Le journaliste:
Nous avons suivi le Dr Bentowitch pendant un jour à Soroka depuis 78 jours et nous ne voyons toujours pas encore l’horizon s’eclaircir.
Dr Benkowitch: Parfois j’aimerais simplement m’assoir et pleurer mais je n’y arrive pas et je n’ai pas non plus le temps pour ça, mais j’attends le jour où je pourrai le faire, où nous pourrons tous le faire et surtout le faire ensemble.

Certains blessés reviennent de loin comme Noa Zeevi, instructrice des nouvelles recrues à la base de Zikim. C’est une véritable héroïne bien qu’elle ne se souvienne pas d’avoir couru sous le feu pour aider un de ses officiers blessés. Elle a reçu une balle dans la tête tandis que son ami Omri était tué après l’avoir mise à l’abri dans un espace protégé en béton. Elle a survécu contre toute attente et, après de nombreux soins, elle est arrivée à récupérer presqu’entièrement. Elle devra cependant subir une autre opération de reconstruction de son crâne et de l’orbite de son oeil droit désormais aveugle.

La base Bahad 4 de Zikim n’est finalement pas tombée aux mains des terroristes grâce à l’ingéniosité et au sacrifice des officiers qui ont protégé leurs recrues.


Un résumé de la vidéo pour ceux qui ne comprennent pas l’hébreu:
A 6h tout commence par des tirs de missiles, le commandant met à l’abri les 90 jeunes recrues qui ne sont à l’armée que depuis 2 mois, rassemble les officiers et sécurise la base qutqnt auùil le peut.
De nouveaux tirs, cette fois d’armes automatiques qui proviennent de la plage. Des dizaines de terroristes, arrivés en canots pneumatiques, tuent des vacanciers qui faisaient du camping.
Malheureusement peu après, les terroristes pénètrent dans la base. Les soldats entendent les premiers allahouakbar, des tirs et les premiers blessés recoivent des soins sous le feu des tirs nourris. Le commandant Yannay Kaminka cours remplacer les soldates de garde à l’une des entrées principales et cours vers la plage pour exfiltrer les vacanciers survivants du massacre et les protéger dans des megouniot (abri en béton).
La jeune Or Moses se bat seule contre des terroristes tandis que ses camarades sont blessés. Il en est de même dans toute la base. Sur la vidéo, vous pouvez voir les messages whatsapp qui rendent compte de la terrible situation.
A 8h 15, 4 officiers ont ete tués: les lieutenants Yannay Kaminka et Hadar Ben Simon, le sergent-chef Omri Nir Feueurstein et le sergent Eden Alon-Levy et peu après, le commandant Adir Aboudi de 23 ans, la capitaine Or Moses ainsi que le soldat Neria Aharon Hagari venu les aider. Deux heures plus tard, des forces de Tsahal arrivent pour secourir les blessés. La base n’est pas tombée aux mains des terroristes et les recrues ont survécu.

Ce jour là aussi, de nombreux civils et soldats ont été enlevés ou assassinés.
Certains heureusement ont réussi à sauver toute leur famille comme Yossef Rojansky. Ce Shabbat noir, Yossef était avec ses petits-enfants au kibboutz Holit. Pendant de nombreuses heures, il a tenu fermée la porte du mamad* que les terroristes essayaient d’ouvrir. Il a perdu sa jambe touchée par des éclats de grenade. Sa femme, Ella, et ses petits-enfants ont également été blessés mais se sont rapidement rétablis.

(Ella et Yossef se rencontrent enfin après avoir été séparés pendant un mois à l’hopital)

Un journaliste l’interroge: Vous êtes arrivés en 1991 d’Union Soviétique?
Oui, l’ambiance n’était pas bonne alors en Russie, là où nous vivions il y avait des rumeurs de pogroms et nous n’étions pas tranquilles.
Et vous êtes plus tranquilles ici? Même après le 7 octobre?
Oui, ici nous faisons partie du peuple, ce que nous vivons, tout le monde le vit. Quand je suis arrivé ici, je me suis tout de suite senti à la maison
.
Maintenant, Yosef se rétablit à l’hôpital. Maitre d’échec, il passe son temps à enseigner les échecs à d’autres patients de l’hôpital Ikhilov de Tel Aviv où se rétablissent de nombreux blessés.

A bientôt,

*Jusqu’à présent, le 81 ème jour de guerre, nous comptons dans les rangs de Tsahal 491 tués depuis le début de la guerre dont 333 le seul 7 octobre et 2023 blessés dont 1189 ce jour là.

*Mamad: pièce sécurisée

*Golantshik: soldat de la brigade Golani. Ils sont toujours en compétition avec les parachutistes

*Shiva: la semaine de deuil


Comme des cyclamens entre les rochers

J’ai traduit cet article de Yoaz Haendel*, paru dans le Israel Hayom du 13 octobre 2023.

Journal de guerre :
Je suis ici depuis près d’une semaine, en uniforme, gilet pare-balle et arme.
Il y a bientôt une semaine que le monde a changé, et j’ai peut être changé moi aussi.
Ce qui était ne sera plus. L’État d’Israel a subi un coup atroce. Il ne s’agit pas d’une deuxième guerre de Kippour, malgré le symbolisme évident*. Mais c’est la guerre la plus dure que nous ayons connue. Mentalement difficile, socialement difficile.
C’est difficile, et nous en sortirons changés

Dans ce pays, chacun d’entre nous a perdu quelqu’un. Chacun a une liste de souffrances qui deviendra évidente plus tard (pour moi y compris). Je n’ose même pas commencer à énumérer ma liste. Mais ce moment là viendra.
Pour l’instant, nous avons une tâche à accomplir : détruire l’ennemi. Et non, ces ne sont pas des mots populistes, mais une nécessité de réhabilitation, une nécessité existentielle.

J’ai toujours affirmé que le peuple d’Israël révèle toute sa beauté dans les moments de crise, comme l’exprime ma chanson préférée, Les cyclamens parmi les rochers, composée par Ariel Horowitz.
Je n’aurais jamais imaginé un moment aussi critique et une telle mobilisation. Je ne sais pas si quelqu’un aurait pu imaginer un tel scénario. Cette force spirituelle de notre peuple est la seule raison pour laquelle nous réussirons. C’est seulement grâce à elle. Ce n’est ni grâce au gouvernement ou aux décisions qu’il prendra ou ne prendra pas. En fin de compte, seule la force spirituelle du peuple gagnera la guerre.

En Israel, la réalité a toujours été folle : à un moment donné, une personne peut diriger une grande entreprise, être agriculteur, homme politique ou enseignant, diriger des manifestations ou des protestations, et le moment suivant, revêtir un uniforme et des armes et se battre pour le pays.
Pourtant, ce qui se passe ici va bien au-delà:
J’ai rencontré deux frères réservistes qui, âgés de plus de 70 ans, ont revêtu l’uniforme pour conduire des camions, un métier très demandé. Ils convoient des tanks vers le Sud et vers le Nord. Et l’un d’eux est en pleine chimiothérapie.
Un civil s’est mobilisé lui-même avec son propre camion pour aider à transporter les corps.
La moitié des commandants conduisent leurs véhicules privés et personne ne demande combien cela leur coûte.
Les réservistes revenus de Thaïlande ou d’Australie ont enfilé des uniformes et ont rejoint les combats.
Des anonymes n’hésitent pas à aller bénévolement partout pour aider.
Des unités entières ont été créées par des citoyens et les merveilleux ‘haredim* de Zaka dont je parlerai plus tard…
Et surtout cet amour fou qui jaillit de chaque dessin d’enfant, de chaque colis, de chaque don ou d’un autre citoyen qui parvient par hasard à s’infiltrer sur le front.
Ceci parce que nous n’avons pas d’autre choix!

Toute cette force populaire doit se transformer en force militaire et rapidement.
Plus tard, il y aura beaucoup de leçons à tirer, d’enquêtes à mener mais cela arrivera plus tard. L’important maintenant, c’est que tous les acteurs politiques ou autres sachent qu’ils n’ont rien à perdre : ils savent déjà qu’ils ne seront plus là le jour d’après.
Ils sont libres de prendre des décisions dans l’intérêt du peuple israélien. Pas de politique et pas de cogitation sur une possible promotion.
Faites de votre mieux pour prendre les bonnes décisions! Rien d’autre n’a d’importance, ni la composition du prochain gouvernement, ni la commission d’enquête, ni les omissions, ni les bonnes raisons. Concentrez-vous uniquement sur cet esprit qui souffle avec force.

L’État d’Israël s’en sortira.
Comment puis-je le savoir ? Parce que nous n’avons pas d’autre choix. Cette génération en sortira mentalement marquée, devra recevoir des soins, mais en sortira renforcée. Elle sera la plus forte qui soit.
Nous combattons pour la justice, pour faire éclater la vérité et cela nous donne tant de pouvoir devant l’ennemi dressé devant nous et sur ses intentions. C’est une force incroyable, même dans les moments très difficiles.

Il est trop tôt pour dire à quoi ressemblera l’Etat d’Israel le jour d’après, mais je suis sûr que les ‘haredim eux-mêmes ont également changé. Ils comprennent qu’on peut appréhender les choses autrement. Les volontaires de Zaka doivent être leur et notre modèle, eux qui viennent de la société ‘haredit.

Comme des cyclamens entre les rochers:


– Officier :
Les soldats et les officiers combattent avec vaillance et se mesurent à l’ennemi face à face pour évacuer les blessés sous le feu depuis les régions en danger. Nous allons continuer à protéger les courageux habitants de עוטף עזה (Otef Aza)* et de l’état d’Israel

– Kobi Paz qui interprète la chanson :
Entre les alertes sur les routes et dans les rues salies, entre organisations criminelles et télévision sans valeur, comme des cyclamens entre les rochers, se cachent les valeureux fils du pays,
Entre les sans-abri et les échauffourées dans les clubs, au milieu de tout ce qu’on lit en général dans les journaux, comme des cyclamens entre les rochers, se cachent
les valeureux fils du pays,
Mais si soudain quelqu’un doit s’allonger dans un fossé boueux, tu ne croiras pas comme ils apparaissent comme des cyclamens entre les rochers.
Parmi les drapeaux oranges et les chemises bleues, entre le marché aux puces et le quartier général, les valeureux fils du pays se cachent comme les cyclamens entre les rochers
Mais si soudain quelqu’un doit s’allonger dans un fossé boueux, tu ne croiras pas comme ils apparaissent comme des cyclamens entre les rochers.


– Officier :
Je veux dire à nos concitoyens que nous répondons présent malgré le prix terrible que nous avons déjà payé, nous avons une grande motivation et nous accomplirons notre mission

– Kobi Paz :
Entre les tours splendides et le merkaz klita*, parmi les ouvriers étrangers dans les champs de blé*, les valeureux fils du pays se cachent comme les cyclamens entre les rochers,
Mais si soudain, quelqu’un doit s’allonger dans un fossé boueux, tu ne croiras pas comme ils apparaissent comme des cyclamens entre les rochers

בין הצפירות בכביש לרחובות המלוכלכים
בין משפחות הפשע לטלוויזיה השטחית
כמו רקפות בין הסלעים
הפנים היפים של הארץ מתחבאים

בין הישנים ברחוב לדקירות במועדון
בין מה שבדרך כלל קוראים בעיתון
כמו רקפות בין הסלעים
הפנים היפים של הארץ מתחבאים

וכשהיא לפתע צריכה
שמישהו ישכב בבוץ בתוך שוחה
לא תאמין איך הם מופיעים
כמו רקפות בין הסלעים

בין הדגלים הכתומים לחולצה הכחולה
בין שוק הפשפשים לקריית הממשלה
כמו רקפות בין הסלעים
הפנים היפים של הארץ מתחבאים

וכשהיא לפתע צריכה…

בין מגדלי הפאר למרכז הקליטה
בין פועלים זרים לשדות החיטה
כמו רקפות בין הסלעים
הפנים היפים של הארץ מתחבאים

וכשהיא לפתע צריכה…

 

Ma fille vient de m’envoyer ce dessin réalisé par une petite fille de 12 ans, Talia Moran, sur un e-pad L’ensemble du dessin est composé des mots רק ביחד ננצח (rak beyahad nenatsea’h) ce n’est qu’ensemble que nous gagnerons.

A bientôt,

*Yoaz Hendel: Ancien ministre des Communications. Il est né à Peta’h Tikva en 1975

*La guerre de Kippour a eclaté le 6 octobre 1973, la guerre actuelle le 7 octobre 2023 et dans les deux cas on peut parler d’un faillite des services du renseignement

*Otef Aza:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Enveloppe_de_Gaza

*Merkaz Klita: centre d’intégration pour les nouveaux immigrants

*Les ouvriers agricoles sont souvent thailandais ou chinois. Certains ont été assassinés et d’autres ont disparu.

*Les ‘Haredim:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/08/21/les-haredim-1-3-%d7%94%d7%97%d7%a8%d7%93%d7%99%d7%9d/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/08/22/les-haredim-2-3/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/08/27/les-haredim-3-3-%d7%94%d7%97%d7%a8%d7%93%d7%99%d7%9d/

*Zaka : זק »א, abréviation de Zihuy Korbanot Asson signifiant « Identification des victimes de catastrophes » est une association israélienne, reconnue par le gouvernement. Les membres de ZAKA, pour la plupart des ‘haredim, participent à l’identification des victimes du terrorisme, des accidents de la route et autres catastrophes. Ils se chargent de collecter les restes de corps et les flaques de sang afin que les victimes puissent être enterrées dignement. Ils fournissent aussi des aides de premiers secours et participent à la recherche d’individus disparus. ZAKA s’est impliqué en Thaïlande, au Sri Lanka, en Inde, en Indonésie où ils furent surnommés « l’équipe qui dort parmi les morts » pour leur acharnement à travailler nuit et jour

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Yom Kippour 2023 יום כיפור

Dans la tradition juive, les 10 jours qui séparent Rosh Hashana de Yom Kippour sont appelés ימים נוראים (Yamin Noraîm) les jours redoutables car ils précèdent le Yom Hadin, le jour du Jugement. Mais, il y a 50 ans, en octobre 1973, les Israéliens connurent 21 jours redoutables, ceux de la guerre de Kippour…

La veille de Kippour 1973, des jeunes soldats de la yeshivat Hesder* de Har Tsion furent envoyés comme tous les ans sur le Golan pour conduire les prières du lendemain.

(soldats de yeshivat hesder sur le Golan)


C’est ainsi qu’Yitshak Gutman, agé de 18 ans, fut envoyé dans un poste avancé. Dans ce lieu et dans le silence total de ce jour, on entendait seulement les soldats prier. Tout à coup, les sirènes mugirent .
Yitshak Gutman raconte:
Nous avons tous rejoint le bunker au plus vite sans prendre nos affaires. Nous n’étions pas vraiment inquiets, nous ne pensions pas qu’il y allait avoir la guerre, au pire quelques escarmouches d’une heure ou deux.
Mais tandis que les soldats attendaient les nouvelles dans leur bunker, les tanks syriens avaient déjà enfoncé les lignes israéliennes et investissaient le plateau du Golan.
Nous avons tous été sauvés par nos troupes et nous avons été envoyés aussitôt sur le front
Yisthak Gutman partit donc sur le front, enveloppé de son talith en laissant sur une table dans le bunker ses affaires personnelles, dont le sac de son talith (châle de prière) et son shofar.
Quelques jours plus tard, les tanks israéliens reprirent peu à peu le Golan. Tandis qu’il roulait parmis les carcasses de blindés syriens, l’officier tankiste Ouri Atzmon aperçu sur un nagmash* syrien quelque chose de couleur bleue, un bleu franc qui l’intrigua.
Ouri: Je demandais à mon chauffeur de s’arrêter et j’allais vérifier ce que c’était. je tirais d’un monceau de débris un shofar intact et un sac de talith en velours bleu brodé avec les initiales י »ג (Youd Guimel ou Y.G)
Je les pris avec moi et les mis dans le tank
. Mais la guerre continuait et ces deux objets n’étaient pas notre priorité. Lorsqu’enfin je rentrais à la maison, mon chauffeur Aharon me dit: Ouri , que vas-tu en faire?
Je répondis : Je les rapporte à la maison.


Après ces trois semaines de guerre, Ouri revint à la maison sain et sauf à Kfar Sirkin, à côté de Peta’h Tikva, et commença à chercher le propriétaire du sac de talith et du shofar, mais sans succès. Il publia une annonce dans différents journaux, mais peu à peu se dit que le soldat aux initiales י ג (Youd Guimel ou Y.G) n’avait sans doute pas survécu.
Il se maria, devint père de 6 enfants puis grand-père. Peu à peu s’installa dans la famille une tradition qui consistait à placer à chaque Rosh Hashana et Yom Kippour, le sac de talith et le shofar sur la table de fête à côté des bougies et à raconter cette histoire aux enfants et petits-enfants.
Ouri: Les premières années, nous n’osions pas nous servir du shofar, il était comme tabou mais finalement nous avons pensé que c’était justement celui-ci qui devait sonner à ces moments là.
Finalement, Ouri offrit le shofar à son fils ainé Yuval: C’est à toi que reviendra de continuer la coutume.
Yuval raconta l’histoire à un ami qui suggéra : Pourquoi ne pas faire passer une annonce sur internet avec une photo? Sur le site des vétérans de la guerre de Kippour?
Yuval: Nous avons passé l’annonce à 7h du soir. Une heure plus tard, nous recevions un coup de téléphone:
-Pouvons-nous venir? Nous rentrons du Golan et nous ne sommes pas très loin de chez vous
.

Peu de temps après, Yitshak Gutman sonnait à la porte d’Ouri Atzmon. Tous les deux avaient les cheveux blancs et étaient devenus grands -pères. Yitshak avait apporté avec lui son sac de tephillin, lui aussi en velour bleu et brodé de ces mêmes initiales י ג (Youd Guimel) .
Il s’écria en riant:
Mon sac des tephilin est en moins bon état que celui du Talith, Ouri tu en a vraiment pris soin!
Yitshak aussi avait raconté chaque année sa partie de l’histoire à ses enfants et petit- enfants: comment il avait survécu et comment il avait dû laisser son shofar et le sac de son talith.
Finalement Yitshak dit à Ouri: Garde le sac du talith et le shofar. Je les avais reçus à ma Bar Mitsva, j’en ai pris soin seulement pendant 5 ans et toi pendant toutes ces années!

Et bien sûr, tout se termina par un bon repas, au milieu des petits-enfants qui couraient un peu partout et qui entendront sans doute encore pendant des années l’histoire du shofar et du sac du talith retrouvés, et du soldat qui a survécu…

Comme chaque année lorsqu’arrive Kippour, je songe avec reconnaissance à tous ceux qui ont combattu, les soldats et officiers en service, mais aussi les réservistes. Je me souviens des vols pour Tel Aviv remplis par ceux qui se trouvaient à l’étranger, parfois depuis plusieurs années, et qui partaient volontairement pour défendre leur pays. Ils savaient bien que עם (am) le peuple se lit aussi עם (im) avec.
Je voudrais rajouter cette année cette phrase si juste que m’a dite mon amie Henriette:
Tu me connais, je ne pratique pas, je ne crois à rien du tout, mais quand arrive Kippour, je jeûne parce que mon peuple jeûne!

(Peinture de Shoshana Brombacher)

A bientôt,

*Ils sont aussi appelés ימי הרחמים (yemei hara’hamim), jours de miséricorde

*Yeshivat Hesder: Hesder est un programme qui combine des études talmudiques avancées avec le service militaire

*Nagmash: blindé léger


Les ‘Haredim 3/3 החרדים

Nous arrivons maintenant à l’époque de la création de l’état d’Israel.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais faire une parenthèse importante et situer ce qui se passe actuellement dans une perspective plus large :
 Depuis environ 2000 ans, notre peuple traverse une succession d’époques charnières. A chaque époque nous avons dû nous réinventer en tant que peuple. Si nous remontons simplement à l’époque de la grande diaspora, nous avons survécu à la dispersion et à l’esclavage romain, au christianisme et à l’avènement de l’islam qui nous ont conduit à repenser et à reconstruire notre culture face à deux conceptions du monde différentes. Nous avons aussi survécu aux croisades, à l’expulsion d’Espagne qui nous a conduit au messianisme de Shabbatai Tsvi* et ses conséquences désastreuses, aux bouleversements apportés par la modernité et jusqu’à la Shoah où nous avons dû renaître de nos cendres.
Tous ces évènements n’ont pas été seulement terriblement douloureux mais ont donné lieu à des discussions, des refus, des anathèmes, car quel que soit notre choix, il était question de notre survie.
Notre époque n’est pas différente. En Diaspora mais aussi ici nous combattons à nouveau ici על הבית (al habayit) pour la maison.

Revenons en 1948 :
Les idées qui ont conduit à la création d’Israel sont le résultat d’un long processus au cours duquel chacun défendait sa vision de l’avenir des Juifs en Eretz Israel. Les sionistes de gauches non-religieux étaient les plus nombreux, aussi c’est leur vision qui a prévalu malgré la forte opposition des ‘Haredim.
C’est à David ben Gourion que revint la lourde tâche de façonner l’identité israélienne de ces populations juives, chacune avec ses traditions, sa vision politique et sa définition du judaïsme. Il l’a fait d’une main de fer, imposant la vision sioniste de l’homme nouveau*, celle d’un Juif débarrassé des scories de la Galout et pour qui le volet religieux du judaïsme relevait uniquement de la culture.
Malgré le fait que pour certains l’identification à l’ethos israélien fut plus difficile que pour d’autres, ce fut une réussite, en grande partie parce que Ben Gourion n’a jamais pensé à une identité nationale coupée de ses racines juives.
En ce qui concerne les ‘Haredim, il avait trouvé une solution : les laisser gérer leurs institutions scolaires et les exempter de service militaire. Il faut dire qu’à l’époque, n’étaient concernés que 400 jeunes hommes de 18 ans. Depuis ce nombre s’est considérablement accru et environ tous les 10 ans, une nouvelle proposition est faite pour changer la donne en faveur de leur enrôlement mais jusqu’à présent toute coercition a été inutile voire contre-productive.
Leur pratique religieuse stricte et intransigeante, leur refus de certaines formes de modernité, leur volonté d’un séparatisme social fort avec par exemple le port de vêtements spécifiques, leur concentration dans des quartiers aussi spécifiques, et leurs institutions religieuses toutes aussi spécifiques, leur ont valu pendant des années d’être considérés en marge de la société israélienne.
 
Actuellement, le monde ‘haredi est une composante significative de la population israélienne: presque 1/5 ème de la population juive du pays. Cependant il ne vit plus en vase clos. Il connaît de profondes et irréversibles mutations dans deux domaines des plus importants: le marché du travail et la conscription à l’armée
– L’entrée sur la marche du travail.
Tout d’abord, il faut noter que de nombreux ‘haredim ont toujours travaillé mais ceci essentiellement à l’intérieur de leur groupe comme artisans, commerçants, enseignants …
Ce qui est nouveau c’est que parmi ceux qui passent leurs journées à étudier dans les yeshiva et vivent des allocations qui leur sont attribuées par l’état (environ 1400 shekel par mois selon la journaliste Peggy Cidor) et du salaire souvent minime de leurs épouses, beaucoup désirent entrer à l’université pour échapper à la pauvreté. Les derniers chiffres du bureau central des statistiques indiquent que 51% des hommes ‘haredim travaillent (leurs épouses sont dans la moyenne nationale).

(Photo Globes)

C’est un chemin long et difficile car ils s’ils sont savants en Thora, ils doivent acquérir les connaissances nécessaires à la poursuite d’études universitaires.

– L’armée :
Depuis la fin des années 1990, le ministère de la Défense encourage le recrutement de jeunes ‘haredim dans l’armée, le but étant de les intégrer non seulement à Tsahal, mais aussi plus tard dans la société israélienne.
À cette fin, le ministère de la Défense a créé la filière du Na’hal ‘haredi, un cadre militaire qui leur permet de servir dans des conditions appropriées à leur mode de vie : prières organisées, accompagnement rabbinique et bien plus encore. La création de cette filière s’est faite en collaboration avec des rabbins de la communauté ‘haredite, qui ont rejoint l’Association des rabbins de Netzah Yehuda*. En 2016, 2 850 ‘haredim se sont enrôlés dans l’armée israélienne, dont bon nombre de combattants. Au cours des deux dernières années, ont été créés d’autres unités combattantes. Aujourd’hui, plus de 6 000 soldats ‘haredim servent dans Tsahal dans les différentes filières de recrutement comme soldats ou officiers.
Afin de permettre à ceux qui ne peuvent pas rejoindre les unités combattantes de s’enrôler dans l’armée, des cours technologiques ont également été ouverts ces dernières années, incluant des opérateurs des équipements de génie mécanique dans l’armée de l’air.
Dans l’armée, la division des affaires sociales, chargée des activités visant à encourager le recrutement des ‘haredim, mène un large éventail d’activités visant à accroître la motivation de ces jeunes tout en coopérant avec les autorités rabbiniques et institutions du groupe ‘haredi: journées d’études sur le service militaire, ateliers, réunions avec les parents de soldats, conférences avec des officiers eux-mêmes ‘haredim, visites de sites patrimoniaux à travers le pays, de musées et de bases militaires.
Il faut ajouter à ceci des cours de formation professionnelle, et un cours préparatoire aux études universitaires/pré-ingénierie à l’Institut Lev de Jérusalem, à l’Institut de technologie H.I.T de Holon, au Technion de Haïfa et au campus ‘haredi de Gan Yavné. L’armée israélienne a révélé que chaque année, environ 1 200 recrues appartiennent à la mouvance ‘haredit.


Pour ces jeunes, il s’agit parfois une décision lourde de conséquence qui peut les mettre à l’index de leur groupe familial, mais heureusement pas toujours:

Beaucoup de ‘haredim considèrent que leurs études en yeshiva (environ 10 heures par jours) les rend semblables aux chercheurs dans les universités et qu’ils sont des chercheurs en Thora. Pour certains c’est peut-être vrai mais pas pour tous, loin de là. Tout le monde n’en a pas les capacités intellectuelles. La journaliste du Jerusalem Post a demandé au parlementaire ‘haredi Moshe Gafni : Où est le nouveau Rambam (Maïmonide)? Ces études n’aboutissent à rien!
Selon elle, il faudrait que les plus sérieux et les plus doués soient exemptés (comme les artistes ou sportifs), car, dit-elle, ils sont aussi notre force, mais les autres doivent servir et entrer dans le monde du travail.
Pour cela, il faudra sans doute attendre quelques années.
L’évolution se fera dans ce sens malgré les stéréotypes existants des deux côtés: de nombreux petits films circulent en ce moment sur les réseaux sociaux. Ils sont repris et même exploités par la presse selon sa tendance. Nous y voyons soit un jeune ‘haredi se faisant insulter dans un bus ou une femme ‘haredit insultant des soldates. Ces petits films de quelques minutes sont le reflet de la réalité mais d’une réalité très partielle.
Il faut toujours garder ceci à l’esprit, malgré le travail contre-productif de la gauche mais aussi celle de 2 partis ‘haredim à la Knesset qui veulent faire passer une loi les exemptant de la conscription. Dans le même temps, le ministre de la santé, Moshe Arbel du parti Shass (parti ‘haredi sepharade) a déclaré dernièrement: Ayant moi-même servi dans l’armée et dans la réserve, ainsi que mes frères, dont l’un en tant qu’officier, je tiens à préciser clairement que l’appartenance à la communauté ‘haredit ne doit pas être une raison pour être exempté du service militaire .
La société israélienne arrivera-t-elle à être homogène? J’en doute, mais j’écoutais ce matin une intervention intéressante de Mordekhaï Kedar: il regrettait que l’ancien président de la Cour Suprême, Aharon Barak voit le droit et sa législation comme un remède universel aux problèmes que traverse actuellement Israel et confonde les mots légalité et légitimité.
Kedar nous rappelle que la légalité (ou la non-légalité) est du domaine de la loi et doit être mesurée et appréciée par elle. La légitimité est du domaine du sociétal donc beaucoup plus fluide et plus difficile à appréhender. Comme exemple, il cite justement la mobilisation (ou non) des ‘haredim dans l’armée qui est un problème de société et qui ne doit donc pas être réglé par le juridique mais par la volonté du peuple, source de la légitimité.
En fait sur ce sujet précis, les représentants des partis ‘haredis et les juges de la Cour Suprême sont à renvoyer dos à dos: les uns et les autres veulent gagner ! Mais lorsqu’on doit traverser et surmonter une crise de société, personne ne gagne, ou alors nous rentrons en dictature.
Actuellement, si les manifestations sont présentées comme une opposition à la réforme judiciaire, on se rend compte en écoutant les manifestants qu’il s’agit d’une crise de société. Ce genre de crise ne peut trouver de solution qu’à travers le respect de l’autre, la compréhension que l’autre est autre et qu’il en a le droit.
Pour reprendre cette expression chère aux E.I (Eclaireurs Israélites) nous devons nous entendre sur un minimum commun* permettant à des Juifs d’horizons divers de vivre ensemble.

Nous sommes au début du mois d’Eloul, et c’est l’anniversaire de la disparition du Rav Kook.

(L’artiste Tsipora Ben Mordekhaî a dessiné le visage du Rav Kook en utilisant certaines de ses citations)

Il encourageait ainsi les pionniers d’avant la création de l’état :
Nous avons connu beaucoup de crises mais nous nous sommes relevés et chaque fois nous nous sommes améliorés et avons progressé dans la construction de notre pays. Il n’est pas productif de s’invectiver, nous devons au contraire nous réconforter les uns les autres

P.S. Si certains d’entre vous se demandent si je suis ‘hilonit, non pratiquante voire agnostique, traditionaliste éloignée ou au contraire proche des pratiques religieuses, pratiquante, ou bien ‘haredit, je leur répondrai simplement: je suis juive.

A bientôt,

*Le sionisme politique et ses penseurs:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/05/08/la-revolution-nationale-juive-et-ses-penseurs-1-5/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/05/09/la-revolution-nationale-juive-et-ses-penseurs-2-5/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/05/10/la-revolution-nationale-juive-et-ses-penseurs-3-5/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/05/11/la-revolution-nationale-juive-ses-penseurs-4-5/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/05/12/la-revolution-nationale-juive-ses-penseurs-5-5/

*Le concept de l’homme nouveau:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2015/06/20/yossef-trumpeldor-lhomme-nouveau/

*Shabbatay Tsvi:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sabbata%C3%AF_Tsevi

*Netsa’h Yehouda:
https://nahalharedi.org/

*L’histoire des EI:
http://judaisme.sdv.fr/histoire/document/eeif/orjekh/orjekh1.htm

Les ‘Haredim 2/3 החרדים

Le monde sepharade et celui d’Eretz Israel

Les communautés balkaniques et turques sont de petites communautés qui seront occidentalisées sans qu’il y ait cette opposition farouche du monde rabbinique, qui compte un certain nombre de rabbins sionistes comme Yehouda Alkalay (1798-1878)*.


En effet le judaïsme sépharade est en général beaucoup plus souple que le judaïsme ashkénaze, et ceci non pas par laxisme, mais pour des raisons historiques qui datent de l’avènement de l’islam, mais ceci est un autre sujet.
Pendant des siècles, les communautés du Nord de l’Afrique restent à l’écart, quoique le monde rabbinique nord-africain ne soit pas coupé du monde juif européen et entretienne des liens très étroits avec le monde rabbinique italien ou balkanique*.
Je vais m’attacher à ce qui se passe au 19 ème siècle au Maroc, car c’est de loin la plus grande des communautés juives d’Afrique du Nord, et aussi en d’Eretz Israel, qui n’est à ce moment là que le Pachalik de Palestine sous domination ottomane. Je ne ne parlerai pas des communautés moyen-orientales qui seront comme les communautés balkaniques très peu touchées par le monde ‘haredi.

Le Mar0c
Là aussi, l’influence de l’Europe va changer considérablement le mode de vie juif. Rappelons tout d’abord que le Maroc et la France entretiennent des relations économiques depuis le 17 ème siècle, bien avant le début du protectorat français en 1912.
En 1860, le rabbin de la communauté juive de Tétouan, dans le nord du Maroc, est le rav Yitshak Benoualid (1777-1870)*. Il décide de soutenir les fondateurs de l’Alliance Israélite Universelle* qui veulent développer un réseau scolaire moderne afin de permettre l’émancipation des Juifs qui vivent dans les pays arabes. Il donne donc son accord à l’ouverture de la première école juive moderne dans sa ville de Tétouan.

(Collection du Musée d’histoire du judaïsme de Paris)

Il le fait parce qu’il est un esprit curieux, désireux d’explorer ce que le monde moderne à offrir, de découvrir les idées de la Haskala dont il a déjà entendu parler par le rabbin livournais Elia Benamozegh. Dans le même temps, il espère aussi mettre sa communauté sous la protection d’une organisation internationale et la mettre à l’abri des pogroms perpétrés par les tribus berbères.
Sa décision sera d’une grande importance:
Tout d’abord pour l’avenir du judaïsme sépharade car elle contribuera à la création de nombreuses autres écoles de l’Alliance sur tout le pourtour méditerranéen jusqu’en Irak. Rien qu’au Maroc, 46 d’entre elles verront le jour en quelques années.
Mais elle conduira aussi à une réaction du mouvement ‘haredi européen.
En Europe, les ‘Haredim luttent contre les idées de la Haskala environ depuis déjà une cinquantaine d’années. Dans leur ligne de mire se trouve le mouvement sioniste politique mais aussi l’Alliance Israélite Universelle qui dispense son enseignement séculier sur le pourtour méditerranéen y compris en Eretz Israel dans l’ancien yishuv*.
La mission des maîtres de l’A.I.U est de conserver un équilibre entre une culture française laïque et la préservation de l’identité juive. Elle a pour elle le prestige de la culture française mais contre elle la tradition juive à qui la notion de laïcité est étrangère. Elle devient pourtant avec les années le plus grand réseau d’enseignement juif au Maroc grâce au budget octroyé par l’administration coloniale. Le prestige de la culture française, le fait que pour la première fois des enfants ont l’espoir de sortir de l’école avec des diplômes qui leur permettront de travailler sur place (ou encore mieux en France) et d’échapper ainsi à la misère du mellah marocain, tout cela entame peu à peu l’enseignement rabbinique traditionnel.

C’est alors qu’en 1911, le rav Zeev Halperin décide de s’installer à Meknès. Zeev Halperin est originaire de Lituanie et issu de la célèbre yeshiva de Voloshyn. A Meknès il fonde la yeshiva Beit El mais surtout un réseau d’écoles nommé Em laBanim qui vont fonctionner sur le modèle lituanien, mais sans oublier cependant l’enseignement des matières profanes, pour que les parents ne lui préfèrent pas l’A.I.U. Il fondra des écoles à Fez, à Meknès, à Sefrou et à Larache qui auront un certain succès.
Ce succès s’explique aussi par la perplexité des Juifs marocains. En effet, les études modernes dispensées par l’A.I.U sont aussi potentiellement une cause possible d’assimilation et d’abandon du judaïsme, alors que les yeshivot du rav Zeev Halperin, certes moins tournées vers le progrès, peuvent préserver davantage l’identité juive. Le choix qui leur est proposé est cornélien: Dans les deux cas, le riche héritage juif marocain est remplacé, soit par la culture française, soit par le judaïsme ‘haredi ashkénaze.
De plus, les maîtres de l’A.I.U sont souvent arrogants, fiers de leur culture issue de la Haskala et déprécient parfois ces Juifs orientaux qu’ils veulent régénérer, c’est tout dire, en dévaluant les méthodes traditionnelles d’enseignement et amener les élèves à penser plus et à empêcher qu’ils se penchent sur des textes sacrés incompréhensibles d’une longueur infinie.
Mais on peut en dire autant des Lituaniens qui se penchent avec commisération sur ces orientaux qui doivent commencer à réfléchir… Les Ashkénazes doivent le faire avec eux… et seulement avec la force, la force ashkénaze, les capacités de sagesse et de connaissances... ils pourront être éduqués convenablement*.
Ces deux exemples n’ont rien d’anecdotique, cette attitude paternaliste et arrogante sera une des raisons de la création bien plus tard du parti politique Shass, mais n’anticipons pas…

En Eretz Israel;
Ici, la situation est plus complexe car si les écoles de l’A.I.U dispensent un enseignement moderne, il en est de même d’autres réseaux d’écoles juives, parfois plus sionistes que l’AIU. En fait, les Juifs qui vivent dans la Palestine turque sont presque tous désireux d’entrer dans la modernité et de créer un état juif sioniste. Le monde religieux y existe bien mais il est peu à peu débordé par les idées nouvelles.
Pourtant, là aussi tout va changer quand en 1893 est fondée à Yafo l’école Bnei Moshe qui veut mettre en pratique les idées d’A’had Ha’am qui consistent en la promotion du sionisme plutôt que du judaïsme, en la synthèse des études profanes et religieuses et en la volonté de faire d’Israel un centre spirituel d’où sera diffusé un nouveau judaïsme moderne.
Ce qui fait déborder le vase pour les ‘Haredim, c’est qu’à Yafo l’A.I.U va joindre ses efforts aux fondateurs de l’école Bnei Moshe. Cette fois, le monde ‘haredi se réveille et décide de combattre cette intelligentsia par toutes sortes de libelles et de prêches contre les innovateurs et en arrive même à dénoncer Eliezer Ben Yehouda (1858-1922)* aux autorités turques.
Le combat contre le sionisme fait partie de la campagne des ‘haredis contre la modernité et la Haskala. En 1912 au congrés de l’Agoudat Israel à Katowice en Pologne, le monde ‘haredi se prépare à la guerre.
N’allez pas croire cependant que tous les sionistes sont des pourfendeurs de judaïsme, ni que tous les Juifs religieux sont antisionistes.
Non, il existe déjà à cette époque, un courant sioniste religieux nommé מזחרי (Mizra’hi), acronyme de l’expression מרכז רוחני (Mercaz Ru’hani) qui signifie centre spirituel, fondé à Vilna en 19o2 auquel est associé le mouvement de jeunesse du Bnei Akiva, avec pour volonté de rejudaïser le sionisme. Ce courant comptera le rav Kook (1865-1935)* parmi ses figures dominantes.
Bien qu’il soit à l’origine du mouvement des kibboutzim religieux*, ce mouvement Mizra’hi n’aura cependant qu’un poids limité au sein du mouvement sioniste mondial: après 1920, ce sont surtout les sionistes de gauche qui domineront dans la Palestine mandataire, d’autant qu’avant la création de l’état d’Israel, le mouvement Mizra’hi ne définit le sionisme qu’en termes religieux alors que les délégués sionistes de gauche le définissent en termes purement politiques.
La guerre est donc déclarée entre les sioniste de gauches et les ‘Haredim. Elle se calmera en partie grâce au Rav Kook qui essayera de trouver un juste milieu mais aussi à cause de la situation sécuritaire de plus en plus difficile dans les années 30.
Pendant la guerre d’Indépendance, toutes ces querelles n’ont plus tellement d’importance, Israel affrontant un danger existentiel. On trouvera parmi les défenseurs de Jerusalem de nombreux ‘Haredim, n’appartenant ni au Palma’h, ni à l’Etzel, ni au Le’hi mais qui se battent על הבית (al habayit) pour la maison, comme on dit en hébreu.

Evidemment les tensions reprendront après la création de l’état d’Israel.

A bientôt,

*Yehouda Alkalay:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Yehouda_Hay_Alkalay

*Rabbi Yitshak Benoualid:
https://en.wikipedia.org/wiki/Isaac_Ben_Walid

*Le rabbin de Livourne en Italie Elia Benamozegh (1822-1900) :
https://akadem.org/sommaire/cours/les-dimanches-de-la-pensee-juive-mystique-et-cabale/le-cas-elie-benamozegh-02-03-2010-8044_4171.php

*Les écoles de l’AIU:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/tag/yaffo/

*Les citations concernant les enseignants de l’A.I.U et les enseignants ‘haredim sont tirées du livre de Yaacov Loupo: Métamorphose ultra-orthodoxe chez les Juifs du Maroc (l’Harmattan 2006), thèse de sociologie entreprise sous la direction de Shmuel Trigano

*A’had Ha’am:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ahad_Ha%27Am

*le rav Kook:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_Isaac_Kook

*Le mouvement des kibboutzim religieux:
https://en.wikipedia.org/wiki/Religious_Kibbutz_Movement

*L’ancien yishouv:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2014/04/04/de-lancien-au-nouveau-yishouv/

*Eliezer Ben Yehouda:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2012/10/16/eliezer-ben-yehouda/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/08/11/une-lettre-damour-pour-tou-beav/

La musique juive, de la Bible à nos jours 2/2

Nous voici donc au milieu du 19-ème siècle. Le groupe des ‘Hoveivei Tsion* vient de s’installer en Eretz Israel. Il précède d’une vingtaine d’années les différentes grandes alyiot qui se succèderont jusqu’à la création de l’état d’Israel. La plupart de ces immigrants viendront de l’empire russe, de l’empire austro-hongrois et enfin d’Allemagne*.
Tous ces Juifs ont peu ou prou le même bagage musical et leurs mélodies ont souvent la même saveur à quelques détails près. Pourquoi? Parce que, ballades mélancoliques ou chants de pionniers, elles sont presque toutes composées sur le monde mineur. Le mode mineur, c’est le mode juif!
En 1874, Moussorgski* (qui n’était pas Juif) compose les Tableaux d’une Exposition*. Il nomme la sixième partie de son opus Goldenberg et Schmuyle, discussion entre deux Juifs et l’élabore en mode mineur, ce qui lui confère une nuance mélancolique et orientale. Lui qui gobe, se goinfre des sons qui planent dans l’air, sait très bien que mélodie juive est synonyme de mélodie en mineur.

(Goldenberg, aquarelle de Boris Hartman, architecte dont les dessins inspirèrent Moussorgski)

On raconte que lorsque les soldats de Napoléon 1er arrivèrent dans l’empire russe, les Juifs furent ébahis par leur chants martiaux. Ils les adoptèrent mais… les chantèrent en mineur, sauf la Marseillaise qui, je ne sais pourquoi, resta en majeur:


(Le rabbi de Loubavitch, le rav Mena’hem Mendel Schneerson, chef spirituel du mouvement ‘Habad et ses élèves qui sifflent pour marquer le rythme, selon la tradition populaire russe)


Donc, en Eretz Israel, les premiers pionniers traduisent en hébreu des chants yiddish ou russes. Certains parlent simplement du travail de la terre, d’histoires de village, de luttes sociales*.

Un piyout est parfois transformé en un chant de pionniers*…
Bien plus tard, l’influence de l’Europe orientale perdurera jusque dans les chants de la guerre d’Indépendance . Le bleu du foulard est une chanson d’amour écrite en russe par Jerzy Peterbursky. Traduite en hébreu par Avraham Shlonsky dans les années 30, elle est deviendra rapidement très populaire chez les Juifs du Yishouv.
Elle est interprétée ici par Ronit Ofir et Rami Harel: un soldat se souvient de sa bien-aimée et de leurs serments…

Dans les années 70, les chanteurs orientaux commencent à percer et créent un nouveau style de musique mediterranéo-israélienne.
Avihou Medina par exemple a composé plus de 400 mélodies pour différents interprètes. Avec Meital Trabelsi, il interprete ici Shabbat Hamalka, poème composé par Hayim Nachman Bialik.

Mais dans le même temps, le spectacle musical איש חסיד היה (Ish Hassid Haya), Il y avait un ‘Hassid, regroupe 14 chansons ou histoires hassidiques avec humour et fait un triomphe:

Dans les années 90, Glykeria, chanteuse grecque et non juive, enflamme les foules israéliennes en chantant en hébreu ce psaume שבחי ירושלים (Shabekhi Yerushalayim), Psaume 147, 12-13:

שבחי ירושלים את אדוני
הללי אלוהיך ציון.
כי חיזק בריחי שערייך
ברך בנייך בקרבך.
הללי, הללי אלוהייך ציון.

Célèbre, ô Jérusalem, l’Eternel, glorifie ton Dieu, ô Sion!  Car il a consolidé les barres de tes portes, il a béni tes fils dans ton enceinte,

La musique judéo-yéménite est à l’honneur avec Ofra Haza* qui fait une tournée triomphante en Europe et en Amérique avec עם ננעלו (Im Nin’alou), Si les portes de la générosité sont fermées ,les portes d’En-Haut ne le sont pas, poème composé par le paytan yéménite Shalom Shabazi au 17ème siècle.

Dans le même temps, la radio diffuse des romanceros des Balkans, parfois en judéo-espagnol, parfois traduits en hébreu, des orchestres de musique arabo-andalouse sont créés, ce qui procure du travail à des musiciens au chômage récemment arrivés de l’ex URSS.

Les Juifs d’Ethiopie apportent leurs coutumes, leur folklore tout en intégrant à la culture classique israélienne.
Ici Esther Rada interprète le chant de Deborah lors de la fête de Yom Haatsmaout 2014:

שִׁמְעוּ מְלָכִים הַאֲזִינוּ רֹזְנִים אָנֹכִי לַיהוָה אָנֹכִי אָשִׁירָה אֲזַמֵּר לַיהוָה אֱלֹהֵי יִשְׂרָאֵל. שִׁמְעוּ מְלָכִים הַאֲזִינוּ רֹזְנִים אָנֹכִי לַיהוָה אָנֹכִי אָשִׁירָה אֲזַמֵּר לַיהוָה אֱלֹהֵי יִשְׂרָאֵל
Ecoutez, rois; princes, prêtez l’oreille: je veux, je veux chanter le Seigneur, célébrer l’Eternel, Dieu d’Israel

Et puis la chanteuse Rita décide de chanter dans sa langue maternelle, le perse, suivie par Mauren Nehedar. Le populaire Idan Amedi renouvelle le style oriental, et compose le thème musical de la série Fauda:

Il donne aussi un concert en langue kurde qui fait le tour du Moyen-Orient.

Le joueur de Târ* et compositeur Piris Eliahou et son épouse la pianiste Larissa Eliahou sont arrivés il y a quelques années du Daghestan. Ils vivent à Arad, dans le Neguev.
Leur idée est de faire fusionner l’orient et l’occident grâce à la musique qu’il a lui-même composée : Nous vivons dans cette société imprégnée d’Orient et d’Occident et cette musique représente quelque chose qui va encore au-delà.

Leur fils Mark a composé la musique de la série Téhéran*.

Je conclurai ce long, très long article par ce chant שיר ישראלי (Shir Israeli) reflet de ce que nous sommes: un peuple bigarré qui a puisé dans tous ses exils sans renoncer, jusqu’à revenir en Eretz Israel.

Ta neige et ma pluie, ton oued et ma rivière se sont enfin retrouvés sur une plage d’Israel. Avec nos rêves et nostalgies, avec tous nos souvenirs bons et mauvais, dans un chant ancien-nouveau qui comble nos fissures, comme il est bon et agréable de se retrouver ensemble…
Avec un rythme grec et l’accent polonais, la trille yéménite et le violon roumain, qui suis-je? Qui suis-je? Oui moi! Mon Dieu! Un chant israélien.
Ta vallée et ma montagne, ta forêt et mon désert se sont enfin rencontrés dans le paysage d’Israel…
Ton Lamed et mon ‘Het, mon Ayin et ton Reish* se sont rencontrés enfin sur un tambourin d’Israel…

A bientôt,

*Les ‘Hovevei Tsion (les Amants de Sion):
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2013/04/26/ness-tsiona/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2014/04/04/de-lancien-au-nouveau-yishouv/

*Il y a déjà des Juifs sepharades et orientaux en Eretz Israel mais ce sont de petites communautés qui vivent surtout dans les villes

*Modeste Moussorgsky: (1839-1881)
https://www.youtube.com/watch?v=niQGb972wQ0&ab_channel=Myung-WhunChung-Topic

*Histoires de village et luttes de classes:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2015/07/10/un-garcon-semblable-a-un-cedre/

*Comme ce piyout de rabbi Shalom Haritonov Comme l’argile dans la main du potier dont la mélodie est devenue un chant de pionniers pendant les pogroms des années 1930.
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2017/09/27/que-vous-soyez-inscrits-dans-livre-de-la-vie/

*La fête du Sighd:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2012/10/21/le-mois-de-heshvan/

*Târ:
https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A2r_(luth)

*Mark Eliahou : thème de la série Téhéran
https://www.youtube.com/watch?v=Yi_Jxo5Nenc&ab_channel=ArielSmith

*Ce sont quatre lettres de l’alphabet qui sont parfois difficiles à prononcer pour des nouveaux immigrants

Une semaine en juin

Cette semaine se télescopent trois évènements qui n’ont apparemment pas avoir grand chose entre eux et pourtant…

Le premier a eu lieu à Chavouot, le 1er et le 2 juin en 1941. Il s’agit du Farhoud (pogrom) de Bagdad. En 1941, il y avait 150 000 Juifs en Irak, dont 90 000 à Bagdad et 10 000 à Bassora.*
Comme dans les autres pays musulmans, les Juifs d’Irak ont été victimes à maintes reprises de violences, et de décrets ordonnant la destruction de leurs synagogues. Certains ont été forcés sous la menace de se convertir à l’islam. Bat Yeor a écrit de nombreux livres à ce sujet*.
Mais en 1941, la deuxième guerre mondiale bat son plein et les troupes anglaises sont prêtes à entrer dans Bagdad. Or, l’Irak est aux mains d’élites musulmanes pronazies. Leur violence s’est intensifiée depuis la grande révolte arabe de 1936 en Palestine mandataire*. Leur organisation est patronnée par le grand mufti de Jerusalem, Hadj Amin el Husseini, venu prêter main-forte dès 1939. Déjà, des lois antisémites sont promulguées, des écoles et le journal juif de Bagdad fermés. La communauté juive est contrainte de contribuer aux finances de la propagande nazie qui s’égosille en arabe en Irak mais aussi à Berlin. Les membres du mouvement pronazi « Al-Futwa » ont été organisés en gangs armés et ont reçu des pouvoirs de police pour agir contre les Juifs qui sont accusés d’espionnage au profit des Britanniques et qui de ce fait sont emprisonnés et torturés.
Quelques jours avant ce massacre de 1941, les maisons des Juifs ont été marquées d’une hamsa* de couleur rouge par les gangs de jeunes nazis islamistes. Et donc, ce mélange détonnant de l’antisémitisme musulman et nazi, quelques heures avant l’arrivée des troupes britanniques va provoquer un déferlement de haine qui fera plusieurs centaines de victimes, d’orphelins et bien évidemment la destruction et le pillage des maisons juives.
Un des survivants, Edi Mor a raconté que sa famille n’a dû sa survie qu’au courage d’un chauffeur de taxi musulman qui les a extirpé de la foule en colère mais il se souvient des groupes de jeunes hommes qui se tenaient à tous les carrefours et assassinaient les Juifs qu’ils rencontraient. Il se souvient des têtes coupées brandies par la foule et des corps démembrés.

(Les tueurs dans les rues sous les acclamations des notables irakiens aux balcon. Photo Centre begin-Sadate)

Sa famille échappe de peu à la mort et se terre pendant les deux jours du massacre. Les Anglais entreront le 2 juin au soir dans la ville, tandis que les Juifs survivants creusent une immense fosse commune.

(Monument érigé à Ramat Gan en mémoire des victimes du Farhoud et des 13 Juifs pendus à Bagdad en 1969)


Edi Mor arrivera en Israel par l’Alya clandestine qui lui fera traverser en camion et à pied l’Irak, la Syrie et le Liban pour arriver enfin à Métula.

Le deuxième de ces évènements est la guerre des Six Jours. Bien sûr c’est une éclatante victoire militaire sur des troupes ennemies bien plus nombreuses mais c’est surtout le contraire du Farhoud, un moment de soulagement, de joie et d’espoir.
Nous pensions que nous allions tous y passer
m’avait dit une amie de ma mère,


Les enfant étaient chargés de remplir des sacs de sable, tandis que d’autres plus âgés creusaient des tranchées.


Nous étions tous de garde à l’hôpital, des files immenses de personnes venaient donner leur sangEt voilà qu’en 6 jours seulement, nous avions gagné, nous étions en vie et nous avions libéré Jerusalem



Le troisième d’entre eux s’est produit cette semaine:
Alors que nous sommes en paix avec notre voisin égyptien, un policier-terroriste égyptien est entré en territoire israélien par une des entrées de secours*. Il est arrivé jusqu’à une base du bataillon Caracal et a tué les deux sentinelles, Lia Ben Nun et Ouri Yitzhak Illouz, 19 ans. Quelques heures plus tard, il a fait une troisième victime, Ohad Dahan, 20 ans, lors de l’ échange de feu qui s’en suivit et où il fut enfin éliminé. Hélas la paix officielle entre Israel et l’Egypte n’a pas entamé l’antisémitisme des égyptiens, antisémitisme encouragé par la presse et les médias du Caire.


C’est notre vie ici:
Pour ne plus être des Juifs sans défense à la merci de n’importe quelle racaille nazie islamiste ou autre nous devons continuellement nous battre, gagner mais aussi en payer le prix.

Non, notre pays ne nous a pas été offert sur un plateau d’argent:


« Tout s’apaise sur cette terre, dans le soir rougeoyant
bordé de nuages.
Ici, se dresse la nation, au  cœur déchiré mais vivant,
Pour recevoir son miracle, son unique miracle!
Prête pour la cérémonie, dressée face à la lune, en vêtements de fête et d’effroi.
Au devant d’elle arrivent alors  un jeune homme, une jeune fille. Ils s’avancent, face à leur nation.
Habillés simplement, un ceinturon, de lourdes chaussures, ils grimpent le sentier.
Ils marchent silencieux.
Ils ne se sont pas changés.
Ils n’ont lavé ni les traces de leur  journée de travail ni celles d’une nuit passée au front.
 Épuisés au plus au point, n’ayant pris aucun repos
pleins de cette fraîcheur de la jeunesse juive,
Ils approchent en silence et tous deux se tiennent droit.
Nul ne sait s’ils sont vivants ou morts criblés de balles.
En larmes , la nation leur demande:
– Qui donc êtes-vous?
Et eux de répondre: – Nous sommes le plateau d’argent sur lequel la patrie juive t’est offerte.
Ainsi parlent-ils, écroulés à ses pieds, enveloppés de pénombre…
Et le reste sera conté dans les chroniques d’Israël. »
(Nathan Alterman*)

A bientôt,

*Bassora:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2013/03/08/et-vous-quand-avez-vous-quitte/

* Bat Yeor (fille du Nil) ou Gisèle Littman-Orebi, a publié plusieurs ouvrages traitant spécifiquement des relations entre l’Europe et le monde arabe et de la situation des minorités juives et chrétiennes dans le monde islamique. Elle a élaboré dans ceux-ci deux thèses principales concernant le néologisme de dhimmitude, qui désigne la condition des dhimmis, c’est-à-dire des populations indigènes non musulmanes des pays conquis par le djihad auxquelles sont appliquées des lois discriminatoires.
https://mabatim.info/2023/06/02/la-colonisation-oubliee-panorama-de-la-dhimmitude/

*La grande révolte arabe de 1936:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/02/22/%d7%aa%d7%a0%d7%95%d7%a2%d7%aa-%d7%94%d7%9e%d7%a8%d7%99-%d7%94%d7%a2%d7%91%d7%a8%d7%99-le-mouvement-insurrectionnel-juif-hameri-1-4/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/12/09/du-palace-hotel-au-waldorf-astoria/

*La ‘Hamsa, ou cinq en arabe. Alors qu’elle était peinte en lettres de sang pour désigner les maisons juives, il est ironique qu’elle symbolise la vie et la protection dans tout le monde oriental.

* L’Egypte étant un pays avec lequel nous avons signé un traité de paix en 1979, les armées israéliennes et égyptiennes luttent conjointement contre les djihadistes et les trafiquants de drogues du Sinaï. Un mur de séparation a été construit à la frontière entre ces deux pays pour empêcher la circulation de drogues en provenance d’Egypte. Toutefois des entrées ou sorties de secours ont été insérées dans ce mur pour faciliter les mouvements des soldats israéliens en cas d’urgence. Il a été constaté qu’elles n’ont été pas entretenues et surveillées en permanence. Il semble que l’auteur de l’attaque était parfaitement au courant de cela, c’est pourquoi l’armée israélienne envisage actuellement de les fermer. Les entrées de secours sont des orifices de 80 centimètres dans la clôture, et elles sont réparties tous les quelques kilomètres, on les appelle “ouvertures logistiques”. (Israel 24/7)

*Pour les hébraïsants, le texte en hébreu du poème de Nathan Alterman:
https://shironet.mako.co.il/artist?type=lyrics&lang=1&prfid=743&wrkid=4982


Le King David: l’étage des nains

Ainsi que le recommande la guide Tamar Hayardeni dans la vidéo ci-dessous, regardez attentivement cet étage plus bas que les autres, apparemment muré, qui se trouve presqu’en haut de l’hôtel King David:

Tout d’abord un peu d’histoire :
Dans mon article sur la Place des chats, j’évoquais l’histoire de la famille Makabi Motzeri-Mani, propriétaire du King David de Jerusalem dont les travaux avaient commencé à la fin des années 1920, peu avant que débutent ceux du Palace Hotel-Waldorf-Astoria*.
A l’époque les trois cousins Motzeri avaient acheté le terrain à l’église grecque orthodoxe, persuadés que le Mandat Britannique allait contribuer à l’épanouissement de Jerusalem et que, par conséquent de nombreux touristes  afflueraient dans la ville qui n’avait pour les accueillir que des couvents parfois très vétustes.
L’emplacement était très bien choisi : tout près de la vieille ville, en face de la Tour de David.
Malheureusement, même lorsque l‘on prévoit tout, il arrive que des  évènements extérieurs changent complètement la donne :
1929 est la date du krach boursier qui changera la face du monde et donc celle du tourisme pour plusieurs années. Les investisseurs du King David ne renoncent pourtant pas mais la crise économique est suivie de la deuxième guerre mondiale. Le Moyen-Orient est devenu une zone de guerre, l’hôtel souffre de plus en plus et finalement, les Anglais décident de se servir de l’aile gauche et d’une partie du corps central pour établir leur quartier général.



Pour la plupart d’entre nous, le nom du King David est lié surtout à l’explosion qui le détruisit en grande partie, perpétrée par l’Irgoun (Etzel), le 22 juillet 1946.



Pourquoi l’Irgoun a -t-elle fait exploser l’hôtel King David?
Il est vrai que l’hôtel était devenu le quartier général de l’armée britannique mais ce n’est pas la raison principale.
A la fin de mon article La nuit des ponts*, j’évoquais brièvement les arrestations dans de nombreux kibboutzim et moshavim. Cette première vague d’arrestation n’était que le prélude de ce que les Anglais appelleront l’Opération Agatha et nous le Shabbat Noir:
L’action britannique contre le Yishouv* commence aux premières heures du samedi 29 juin 1946, mais avait été planifiée avec soin et dans le plus grand secret par le gouvernement britannique depuis déjà quelque temps.
Un couvre-feu est proclamé dans tout le pays et 17 000 soldats font irruption dans les bâtiments institutionnels, les kibboutzim et les moshavim afin de confisquer armes et documents et d’arrêter les dirigeants et les militants du Yishouv et de la Haganah. Le gouvernement mandataire montre ainsi qu’il est déterminé à faire régner la terreur et la violence. Cette action militaire a d’ailleurs été approuvée par le Cabinet à Londres et pas seulement par les dirigeants mandataires.

L’opération Agatha prend le Yishouv par surprise et atteint la plupart de ses objectifs. Les Britanniques recueillent une quantité considérable de renseignements, arrêtent et envoient des milliers de Juifs dans un camp d’internement spécial à Rafiah, près de Gaza. A Jérusalem, les troupes britanniques pénètrent dans les locaux de l’Agence juive et, après avoir saccagé les bureaux et notamment les archives, confisquent un grand nombre de documents. Ce matériel est chargé sur trois camions et transporté à l’hôtel King David à Jérusalem, hôtel qui abritait le secrétariat du gouvernement et le commandement militaire. La teneur de ces documents démontre clairement le rôle de l’Agence juive dans la direction de la Résistance unie*. Y figurent entre autres, le texte de l’accord entre la Haganah, l’Irgoun et le Le’hi*, ainsi que des câbles approuvant les opérations de l’Irgoun et du Le’hi contre les Britanniques ainsi que le texte des émissions de Kol Yisrael (la station de radiodiffusion clandestine de la Haganah), déclarant, entre autres, que tout serait fait « pour empêcher le transfert de nouvelles bases militaires en Palestine ».

En tout, ce shabbat là, près de 3000 personnes sont arrêtées et emmenées au camp de Rafiah, tandis que les dirigeants de la Histadrout et de la Bank Leumi sont envoyés dans un camp près de Latrun. Pour Moshe Sneh, commandant de la Haganah, il faut absolument continuer la lutte armée pour prouver aux Britanniques qu’ils ne réussiront pas à briser la résistance juive malgré les arrestations.

Les dirigeants du Hameri* décident donc de mener 3 opérations :
– Le Palma’h est chargé d’un raid le camp militaire de Bat Galim où sont entreposées les armes prises au kibboutz Yagur.
– L’Irgoun se voit confier la mission de faire exploser le King David où se trouvaient les bureaux du gouvernement mandataire et du commandement militaire britannique.
– Le Le’hi est chargé de faire sauter le bâtiment adjacent de David Brothers, qui abritait les bureaux du gouvernement.

Mosche Sneh, chef du quartier général de la Haganah, envoie une lettre à Menahem Begin, le chef de l’Irgoun, avec des instructions. Le texte entre parenthèses) est inséré uniquement pour le clarifier. L’original de la lettre se trouve dans les archives de l’Institut Jabotinsky:

 – Dès que possible, vous devez effectuer l’opération au ‘chick’ (nom de code pour l’hôtel King David) et à la maison de votre serviteur et messie  (nom de code pour le bâtiment des frères David). Informez-moi de la date. De préférence simultanément. Ne pas révéler l’identité de l’organisation responsable – ni en l’annonçant explicitement, ni par insinuation.
– Nous aussi, nous préparons quelque chose – nous vous informerons des détails en temps voulu.
– Exclure TA (Tel Aviv) de tous les plans d’actions. Nous avons tous intérêt à préserver TA – comme centre de la vie du Yishouv et le centre de nos propres activités. Si en raison d’une action, TA est immobilisée à la suite d’un couvre-feu, et d’arrestations, ceci nous paralysera dans la conduite de nos plans. Et d’autre part, les cibles importantes ne s’y trouvent pas. Donc, TA est ‘hors limites’ pour les forces d’Israël. » 1.7.46. M. (Moshe Sneh)

Les détails et l’heure spécifique choisie pour l’attentat sont décidés afin de minimiser les victimes civiles. L’attaque est planifiée avant l’heure du repas, de façon qu’il n’y ait personne au rez-de-chaussée de la cafétéria qui était la partie de l’hôtel à détruire. Les rapports de l’Irgoun précisent de façon précise que toute la zone doit être évacuée.

D’après le plan prévu, les hommes de l’Irgoun, habillés en employés arabes de l’hôtel, portant les explosifs cachés dans des bidons de lait, entrent dans le bâtiment par le Café situé au rez-de-chaussée, et placent les explosifs (environ 350 kg d’explosifs répartis en six charges) en dessous de l’aile de l’hôtel où se trouvent les institutions britanniques. L’attaque est prévue pour le 22 juillet à 11 heures du matin. Elle sera retardée à cause d’un incident avec deux soldats britanniques suspicieux qui blesseront deux hommes de l’Irgoun.
Une demie heure avant, la réception téléphonique de l’hôtel, le consulat de France et le journal Palestine Post ont reçut un message de l’Irgoun :
« Je vous parle au nom de la lutte clandestine juive. Nous avons placé un engin explosif dans l’hôtel. Évacuez-le immédiatement – vous avez été avertis. »
Après avoir posé les bombes, les hommes de l’Irgoun s’échappent rapidement et font exploser une petite charge devant l’hôtel afin d’écarter les passants de la zone. Les travailleurs arabes des cuisines sont avertis et s’enfuient de l’hôtel.
Malgré cet avertissement, l’attaque fera de nombreuses victimes: 91 morts et 45 blessés, en majorité des soldats britanniques mais aussi des civils juifs et arabes employés dans le bâtiment.

Alors que s’est-il passé ?
Pendant des années, les Britanniques affirmeront qu’ils n’ont pas été avertis, mais en 1970, sera découvert un rapport de la police britannique prouvant que l’avertissement a bien été donné à temps mais que l’officier en charge (certains parlent de Sir John Shaw* lui-même qui sera rapidement muté) n’a pas voulu évacuer le bâtiment en déclarant : Ici, nous ne recevons pas d’ordres des Juifs ! Encore plus grave, il aurait insisté pour que personne ne quitte le bâtiment. En fait, l’hôtel n’était pas surveillé ni par la police ni par l’armée britanniques, les Anglais n’ayant pas encore compris la détermination des Juifs.

Le Consul de France, plus réaliste fera ouvrir immédiatement toutes les fenêtres après réception du message, craignant le souffle de l’explosion.
Au Palestine Post, là aussi le message a été pris au sérieux : au moment de l’explosion de nombreux reporters sont déjà sur place.

Les Britanniques sont furieux mais aucun ne mentionne le fait qu’ils ont refusé d’évacuer les lieux. Hayim Weizman déclarera à Richard Crossman, membre du Parlement britannique, que les membres de l’Irgoun ont agi conformément aux instruction de la Haganah et qu’il était  fier de nos gars. Il ajoutera que si seulement ce bâtiment avait été le quartier général allemand, et eux des membres de l’armée britannique, ils auraient reçu la Victoria Cross.

Certaines réactions britanniques sont clairement antisémites : Le commandant de l’armée britannique en Palestine, le général Sir Elvelyn Barker, dans un ordre écrit seulement quelques minutes après l’attentat, ordonne que  tous les lieux juifs de divertissement, les cafés, les restaurants les magasins et les résidences privées soient interdits à tous les militaires en expliquant : J’estime que ces mesures infligeront quelques épreuves aux troupes, mais je suis certain que si mes raisons sont clairement expliquées, ils comprendront leur justesse et ils puniront les Juifs d’une façon que leur race n’aime pas en s’attaquant à leur portefeuille et en montrant notre mépris à leur égard.  

En mars 1947, le gouvernement britannique demandera à l’O.N.U. de prendre en charge la Palestine mandataire et annoncera son départ total de Palestine au plus tard pour le 15 mai 1948.
Mais un jour avant, le vendredi 14 mai 1948 (ou 5 Iyar 5708), David Ben Gourion, président du Yishouv, proclamera la création de l’ Etat d’Israel, dans une déclaration lue et radiodiffusée vers 16 heures, en présence des représentants des mouvements sionistes.

Et les nains dans tout ca ?
Lorsque je racontais cette histoire à quelques amis, l’un d’eux, architecte, me dit : Un étage aussi bas et sans fenêtres! C’est certainement un étage technique comme il y en a dans de nombreux bâtiments.

En fait, des fenêtres il y en a, mais elle sont rares et étroites, presqu’invisibles, car au moment de la reconstruction de l’hôtel dans les années 50, cet étage supplémentaire particulier devait être dévolu à Tsahal pour être un poste d’observation pour les snipers qui surveillaient la frontière avec la Jordanie à quelques mètres de l’hôtel*. Certains disent qu’il n’a jamais servi car la guerre des 6 jours en 1967 a supprimé la frontière qui passait au centre de la ville, d’autres disent que le Shin Bet s’en sert pour écouter les diplomates qui logent dans l’hôtel, chut! …

Je ne sais pas, mais je me souviens qu’en juillet 1967, j’y suis rentrée avec mon sac à dos: l’accueil fut chaleureux et mon verre d’eau gratuit alors que je me détendais sur la terrasse et contemplais Jerusalem réunifiée.

L’air des montagnes est enivrant comme le vin et l’odeur des pins monte dans le vent du soir avec la voix des cloches. Et dans le sommeil de l’arbre et de la pierre emprisonnée dans son rêve, la ville se tient solitaire, un  mur dans son cœur.
Yerushalayim d’or, de cuivre et de lumière, pour tous tes chants, je serai le violon
Combien  les points d’eau sont asséchés! La place du marche est vide, personne ne fréquente le Mont du Temple dans la Vieille Ville. Dans les grottes des rochers hurlent les vents et personne ne descend par le chemin de Jéricho.
Cependant, je viens te chanter  te tresser des couronnes, moi,  le plus petit de tes fils et le dernier de tes poètes car ton nom brûle les lèvres du baiser d’un séraphin…Si je t’oublie Jérusalem qui est toute en or…
Yerushalayim d’or, de cuivre et de lumière, pour tous tes chants, je serai le violon.Nous sommes revenus vers les puits d’eau au marche sur la place, le shofar appelle sur le mont du temple dans la vieille ville et dans les grottes du rocher des milliers de soleils brillent, nous reviendrons par le chemin de Jéricho…
Yerushalayim d’or, de cuivre et de lumière, pour tous tes chants, je serai le violon*.

A bientôt,

* La Place des chats:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/01/27/la-place-des-chats-%D7%9B%D7%99%D7%9B%D7%A8-%D7%94%D7%97%D7%AA%D7%95%D7%9C%D7%95%D7%AA/

* Le Palace Hotel- Waldorf-Astoria:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/12/09/du-palace-hotel-au-waldorf-astoria/

* Il est vrai que de nombreuses têtes couronnées s’y succèderont, parfois pour une courte visite comme Abdallah de Jordanie ou une plus longue : il sera la résidence du roi déchu d’Ethiopie, Hailé Sélassié, d’Alphonse XIII d’Espagne et de Georges II de Grèce

* La différence entre Haganah, Palma’h, Irgoun et Le’hi est expliquée dans mes article sur La Résistance Unifiée ou Mouvement Insurrectionnel Juif, Hameri:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/02/22/%d7%aa%d7%a0%d7%95%d7%a2%d7%aa-%d7%94%d7%9e%d7%a8%d7%99-%d7%94%d7%a2%d7%91%d7%a8%d7%99-le-mouvement-insurrectionnel-juif-hameri-1-4/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/02/24/%d7%aa%d7%a0%d7%95%d7%a2%d7%aa-%d7%94%d7%9e%d7%a8%d7%99-%d7%94%d7%a2%d7%91%d7%a8%d7%99-le-mouvement-insurrectionnel-juif-2-4-hameri/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/02/27/%d7%aa%d7%a0%d7%95%d7%a2%d7%aa-%d7%94%d7%9e%d7%a8%d7%99-%d7%94%d7%a2%d7%91%d7%a8%d7%99-le-mouvement-insurrectionnel-juif-hameri-3-4/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/03/03/%d7%aa%d7%a0%d7%95%d7%a2%d7%aa-%d7%94%d7%9e%d7%a8%d7%99-%d7%94%d7%a2%d7%91%d7%a8%d7%99-le-mouvement-insurrectionnel-juif-hameri-4-4/

* Le yishouv: installation des Juifs en Palestine. On fait la différence entre l’ancien yishouv qui couvre la période entre l’empire romain (après Bar Kochba) et le milieu du 19 ème siècle (voir tous mes articles intitulés Les générations oubliées) et celle du nouveau Yishouv qui va du milieu du 19 ème siècle avec l’apparition du sionisme politique jusqu’à la fin du mandat britannique. Actuellement le mot désigne les localités de Judée-Samarie.

*Sir John Shaw: secrétaire en chef du gouvernement en Palestine

* La frontière avec la Jordanie avant la guerre des 6 jours de 1967:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/10/14/le-dentier-de-soeur-odile/

*Jerusalem d’Or:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2013/05/07/jerusalem-dor/