Le 10 novembre 1938, les nazis entrainèrent la populace à se déchainer contre les Juifs. La Nuit de Cristal fait référence au bruit des vitres des magasins, appartements et 1400 synagogues saccagées. Mais la réalité est bien plus sinistre que cela: une centaine de morts, des centaines de blessés, des victimes de viols, de nombreuses morts par suicide et environ 30 000 arrestations. Un tel acharnement sur seulement 500 000 Juifs vivant en Allemagne et en Autriche pour environ 60 millions d’habitants pour les deux pays réunis!
Des maisons d’enfants, des orphelinats comme celui de Dinslaken ont été saccagés, des malades ont été sortis de leur lit d’hôpital pour être transportés à Dachau. Certains sont morts pendant le transfert et les autres ont été assassinés.

(Les enfants de l’orphelinat en 1935. Yad Vashem)
Les émeutiers ne seront jamais jugés*. Il faut dire que la plupart des victimes auront entre temps été assassinées dans les divers camps d’extermination.
Mais, plutôt que de vous raconter la Nuit de Cristal, ce qui m’intéresse c’est d’essayer de comprendre quel fut le processus de déshumanisation des Juifs.
Un historien américain* a déjà étudié le phénomène de la montée de l’antisémitisme dans une ville où il n’y avait presque pas de Juifs. Il accuse l’entrisme de nazis dans différentes organisations scolaires, culturelles, ce qui qui fut décisif dans un pays où l’appartenance à un groupe (anciens combattants, chorales, organisations sportives etc..) est primordiale.
Mais il y a plus: Nous savons par exemple que les manuels scolaires et la presse répétaient chaque jour que si l’Allemagne n’allait pas bien, c’était la faute aux Juifs. Les Allemands étaient donc mis en condition dès l’enfance.
Cette illustration de 1938 est tirée d’un livre pour enfants Le champignon empoisonné (le Juif). Ici, un enfant apprend à reconnaitre les Juifs selon la forme de leur nez. (Blog The librairians)
Mais il y a encore plus grave: Le rôle négatif des Eglises allemandes en tant qu’institutions
Pourquoi? Parce les enseignements des Eglises sont le fondement culturel de tous les pays d’Europe et qu’il y a maintenant presque cent ans, les Européens, et donc les Allemands, étaient profondément chrétiens.
Je me suis surtout intéressée à leur réaction aux lois de Nuremberg* de 1935, lois discriminatoires concernant tous les Juifs (pratiquants ou pas) mais également les chrétiens d’origine juive puisque la notion d’une soi-disant race juive en était la raison.
(Tableau racial des lois de Nuremberg de 1935. Photo : US Holocaust Memorial Museum)
1- L’Église catholique allemande
Elle est théologiquement unie (et non pas divisée en différentes groupe comme l’Église protestante) puisqu’elle est en fait dirigée par le Vatican.
Les dirigeants catholiques sont initialement méfiants à l’égard du national-socialisme d’autant que l’anti-catholicisme enragé de certains hauts dignitaires nazis les inquiètent. De plus, ils se souviennent de la période du Kulturkampf (ou combat pour la civilisation), pendant laquelle, de 1871 à 1887, le Chancelier de l’empire allemand, Otto von Bismarck, avait mené une politique religieuse coercitive destinée à rompre les liens de l’Eglise catholique avec Rome.
Entre outre, le catholique Deutsche Zentrum (le parti du centre), qui avait été un partenaire clé pour la République de Weimar dans les années 1920, était un farouche opposant au parti nazi. Ainsi avant 1933, certains évêques interdisaient aux catholiques d’adhérer à ce parti.
Mais tout change quand en 1933, Hitler décrit le christianisme comme le « fondement » des valeurs allemandes dans son discours du 23 mars.
Le catholique conservateur Franz Von Papen est nommé vice-chancelier. Le programme de restauration de la grandeur allemande séduit une partie des catholiques. De son côté, le pape Pie XI est inquiet d’un renouveau du Kulturkampf. Dès le mois de mars, il initie des négociations avec l’aide du président du Parti du Centre.
Le 20 juillet, un Concordat est signé entre les Nazis et le Vatican. D’une part, le gouvernement nazi reconnait les associations, les œuvres de jeunesse, l’école confessionnelle et restitue les biens confisqués à l’Eglise catholique. D’autre part: Les nominations d’archevêques, d’évêques et toute autre nomination ne deviendront définitives que lorsque le représentant du Reich aura donné son accord pour ce qui est de savoir si ces nominations ne présentent pas d’inconvénients au point de vue politique générale (article 14 du Concordat).
Et donc, la messe est dite si vous me permettez cette expression!
Nous sommes bien loin de la conférence de Fulda de 1932 qui interdisaient aux catholiques d’adhérer au parti nazi. la NSAP.
Il est évident que ni l’encyclique de Pie XI Mit brennenden Sorge de 1937 où il critique le paganisme et le racisme, ni le fait qu’il déclarera en septembre 1938: Spirituellement nous sommes tous des Sémites, n’auront d’influence sur la population.
2- Les Eglises protestantes:
En 1933, il y avait trois traditions protestantes différentes en Allemagne: 41 millions d’Allemands sont enregistrés à la DEK (Deutsche Evangelische Kirche), d’autres à l’Eglise Unifiée. Quelques millions sont dispersés entre l’Eglise Réformée Calviniste et dans des congrégations comme celles des groupes mennonites.
Dès 1932, la DEK se prononce en faveur du racisme nazi dans un mémorandum. En 1933 elle dirige le nouveau Synode. Les autres Eglises suivent le mouvement.
Seule, l’Eglise Confessante, fondée en 1934 comme opposante au nazisme se prononce en faveur d’un christianisme accessible « à tous les peuples sans distinction de race » et voit dans le « paragraphe aryen », une « violation du statut confessionnel ». Elle condamne théoriquement l’antisémitisme racial mais le considère comme une affaire d’état dont elle n’a pas à se mêler. Elle non plus ne sourcillera pas face aux persécutions qui touchent les Juifs mais aussi les chrétiens d’origine juive.
La seule opposition vraiment claire et nette vient du pasteur Hans Ehrenberg. Le hic est qu’il est un Juif converti. Il aura la chance de fuir en Grande-Bretagne en 1939.
Mais il y a encore plus grave:
Onze des églises protestantes allemandes iront jusqu’à fonder à l’instigation du mouvement chrétien allemand, dans la ville de Eisenach, le Institut zur Erforschung und Bestätigung des jüdischen Einflusses auf das deutsche kirchliche Leben c’est à dire l’ Institut pour l’étude et l’élimination de l’influence juive sur la vie de l’Église allemande.
Cet institut fonctionnera de 1939 à 1945 et sera très influent dans les universités de théologie.
Cette idée d’une purification non seulement de la « race » mais aussi de ce qui est un des fondements culturels allemands, le christianisme, a muri pendant plusieurs année dans le cerveau de Walter Grundmann* (1906-1976) et de son cercle d’amis et disciples jusqu’à ce que les Eglises lui donnent le feu vert et surtout les fonds pour créer cet institut.
En fait, le raisonnement de Grundmann est simple: Notre peuple, qui lutte avant tout contre les puissances sataniques de la communauté juive mondiale pour l’ordre et la vie de ce monde, doit logiquement rejeter Jésus, car il ne peut pas lutter contre les Juifs et ouvrir son cœur au roi des Juifs ». Mais ce type d’affirmation est bien problématique de la part d’un théologien!
Aussi la solution est rapidement trouvée: Jésus n’est pas Juif, c’est un bon Aryen*! Grundmann est rejoint par une foule de théologiens et de pasteurs dans cet institut qu’il dirigera de 1939 à 1945, l’Institut pour l’étude et l’éradication de l’influence juive sur la vie religieuse allemande.
L’un de ses directeurs, Georg Bertam* professeur de Nouveau Testament à l’Université de Giessen écrit en mars 1944: Cette guerre est la guerre de la communauté juive contre l’Europe. Cette phrase contient une vérité qui fut maintes fois confirmée par la recherche de l’Institut. Ce travail de recherche n’est pas seulement adapté à l’attaque frontale, mais aussi au renforcement du front intérieur pour l’attaque et la défense contre toute la juiverie secrète et juive. être, qui a suinté dans la culture occidentale au cours des siècles, … Ainsi l’Institut, en plus de l’étude et de l’élimination de l’influence juive, a également la tâche positive de comprendre le propre être chrétien allemand et l’organisation d’ une pieuse vie allemande basée sur cette connaissance.*
En d’autres termes, le but n’est pas seulement de façonner un christianisme pur et non juif, mais de créer une Allemagne sans Juifs. Débarrasser l’Allemagne des Juifs n’est pas seulement un objectif au service du peuple allemand, mais aussi la mission historique mondiale de l’Allemagne.
Pour cela, l’Institut produit une Bible sans Tanakh (Ancien Testament) et réécrit le nouveau Testament en supprimant les généalogies de Jésus qui lui attribuent une ascendance davidique, mais aussi les noms et lieux juifs ainsi que les citations (sauf si elles montraient les Juifs sous un mauvais jour ) et toute mention des prophéties positives pour le peuple juif. Il transforme Jésus en figure militariste et héroïque et aryenne dont le rôle est de combattre les Juifs.
Les lois antisémites de 1935 ne feront donc pas fait grand bruit d’autant qu’elles sont, en somme, les mêmes lois discriminatoires que celles que l’église avait imposées aux Juifs pendant des siècles et jusque dans un passé très proche.
En résumé, un lien étroit va se tisser entre les antisémitismes nazis et théologiques. Dans les deux cas, les Juifs sont considérés comme des adversaires de la germanité, en raison de jugements raciaux et ethniques. Contre le nomos d’Israel, se dresse un nomos folklorique germanique ou aryen, dont le Jésus aryen est le héros qui guide le peuple allemand dans sa lutte purificatrice. Il est donc primordial de préserver la pureté de l’espèce et de la race allemandes. Les Juifs eux-mêmes étant responsables théologiquement de tous leurs malheurs, leur droit à l’existence est théologiquement nié. La lutte de l’État contre le judaïsme s’en trouve donc renforcée car justifiée.
Pour aller plus loin avec Susannah Heschel, professeur d’études juives à l’Université de Dartmouth (vous avez la possibilité d’activer des sous-titres en anglais lisibles malgré de nombreuses fautes surtout dans les noms propres)…
Mais ne croyez pas que tout cela n’est que vieille lune et histoire du temps passé. Ce n’est pas seulement que le grand mufti de Jerusalem Hadj Amin al Husseini créa des légions SS en Europe et des troupes de choc, les Einsatztruppen, qui devaient se charger de l’extermination des Juifs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
L’histoire se répète et c’est actuellement la société palestinienne qui subit un endoctrinement de même nature qui a les conséquences que nous connaissons tous et dont nous avons eu un exemple supplémentaire hier soir: trois missiles lances depuis Gaza et surtout une adolescente de Kiriat Arba, Tamar Bat Nira, qui a reçu une balle dans la tête. Elle est entre la vie et la mort à l’hopital Hadassa.
A bientôt,
* Quelques assassins malchanceux ont été jugés près la guerre mais ils ne furent que légèrement condamnés ainsi les assassins de Mina Tsek qui vivait alors à Neidenburg en Prusse Orientale.
https://fr.timesofisrael.com/des-temoignages-de-la-nuit-de-cristal-autrefois-perdus-dans-lhistoire/
* Il s’agit de William Sheridan Allen (1932-2013) qui écrivit The Nazi Seizure of Power: The Experience of a Single German Town 1930-1935 (traduit en français sous le titre Une petite ville nazie)
*Lois de Nuremberg et le paragraphe aryen:
https://museeholocauste.ca/app/uploads/2019/03/lois_antijuives_chrono.pdf
Les lois raciales mises en œuvre par le Parlement allemand à Nuremberg, le 15 septembre 1935 sont devenues la base légale de la politique raciste antijuive en Allemagne. Treize décrets supplémentaires ont été ajoutés au Lois de Nuremberg au cours des 8 années suivantes. Elles définissaient officiellement qui était Juif et qui était aryen, La première loi fut appelée Loi sur la citoyenneté du Reich et en exclus les Juifs. La deuxième, la loi pour la protection du sang et de l’honneur allemand interdisait les mariages mixtes, l’interdiction de l’emploi de personnel non-juif de moins de 45 ans et interdisait aux Juifs le salut du drapeau. Les lois de Nuremberg ont fourni un mécanisme juridique « légitime » pour exclurent les Juifs de la société allemande.
Ce qui est appelé le paragraphe aryen est cette classification entre Aryens, Juifs, Métisses, quart de Juifs. Les chrétiens d’origine juives étaient Juifs selon les lois de Nuremberg.
*Walter Grundman et ses amis ne seront pas inquiétés après 1945. Lui-même travaillera pour la STASI en Allemagne de l’Est
* Il est vrai que Dietrich Boendorfer a tout d’abord fermement refusé d’exclure les chrétiens juifs de l’Église allemande mais finalement son opposition officielle à cette exclusion dans un texte rédigé avec le pasteur Niemoller a été plus qu’édulcorée. Il faut noter que lui même faisait preuve d’un antijudaïsme théologique tout à fait convaincu.
Il est vrai aussi que le pasteur Niemoller (1892-1984) a été arrêté en 1937 sur ordre d’Hitler et envoyé dans deux camps de concentration en tant que fondateur de l’Eglise confessante. Il considérait qu’Hitler l’avait personnellement trahi car il lui avait promis de ne pas s’en prendre physiquement aux Juifs, à seulement les restreindre (les lois de Nuremberg). Hitler lui aurait dit en 1932 Il y aura des restrictions contre les Juifs, mais il n’y aura pas de ghettos, pas de pogroms, en Allemagne. Pour Niemoeller les Juifs tenaient trop de place dans la société en particulier les Sionistes (!), les Juifs de l’est, et les Juifs athés… Il justifiait l’antisémitisme par toutes sortes de raisons. En somme un antisémitisme convenable…
* Jésus aryen: Si vous voulez aller plus loin, cet article de Mireille Hadas-Lebel:
https://www.ajcf.fr/IMG/pdf/160214-MHL-Jesus-aryen.pdf
* Le nazisme dans la société palestinienne:
https://www.terrorism-info.org.il/app/uploads/2021/10/E_154_21.pdf
https://www.memri.org/reports/neo-nazis-look-forge-bromance-jihadis
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2022/08/21/les-nazis-nhabitent-pas-loin-de-chez-moi
Bonjour Hanna, je ne connaissais pas toute cette histoire très intéressante, de tout temps les hommes manipulent de telle façon à faire croire des inepties . Jésus était bien juif.
je me souviens lorsque j’avais 7 ans nous avons déménagé dans un petit village et nous avions une chambre à la maison de retraite, les personnes âgées étaient mes papy, mamies. Et ma question était pourquoi une certaine dame était traitée de juive d’une façon que je trouvai méchante ? et moi je me suis pris d’affection pour cette dame, peut-être c’est à ce moment là que je me suis mis à aimer le peuple juif et je l’aime toujours….
Très intéressant,
Merci