Robe écarlate et bonnet blanc…

Parmi les manifestants contestant la réforme judiciaire, on peut voir des dizaines de femmes vêtues de robes rouges et portant des bonnets blancs. Je ne comprenais pas la signification de ce déguisement jusqu’à ce que je lise un article de Irit Linor dans le Israel Hayom. Je l’ai trouvé intéressant et j’ai pensé qu’il était utile de le traduire et de le diffuser. Il montre à quel point les valeurs véhiculées par les manifestants ont leur source dans une virtualité très éloignée de la réalité.

Irit Linor: « Que peut nous apprendre l’auteur du livre La servante écarlate sur les manifestations actuelles ?
La cape et le bonnet de l’héroïne du roman de Margaret Atwood sont devenus la tenue vestimentaire appropriée de groupes de femmes qui protestent contre la réforme judicaire. Contre quoi protestent-elles? Nous protestons toujours contre le cauchemar qui nous taraude.

(La couverture du livre de Margaret Atwood sur Amazon)

La servante écarlate, est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contrainte de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre. Cette fiction a été publiée en 1985.
M. Atwood y dépeint une Amérique frappée par des radiations radioactives, qui ont rendu la plupart des femmes stériles. Des généraux prennent le pouvoir et le pays devient une dictature religieuse nommée La république de Galaad.

Les femmes de Galaad se retrouvent séquestrées, réparties dans différents groupes (selon leur utilité) dont elles doivent toutes porter l’uniforme. Les femmes fécondes sont emmenées dans les maisons des hauts fonctionnaires du régime pour être violées et fécondées lors d’une horrible cérémonie religieuse, à laquelle participent également les épouses légales.
Le livre a eu beaucoup de succès et a reçu le prix de meilleur roman de science-fiction.

Mais pour Margaret Atwood ce n’était pas de la science-fiction. Dans une interview accordée en 2018 au magazine « Rolling Stone », elle a déclaré : En fait, j’ai commencé à penser à ce livre en 1981 quand Ronald Reagan a été élu président et que la droite religieuse a pris de l’importance. Dans les années 1970, la deuxième vague du féminisme avait permis de belles avancées et là, ce fut un contrecoup. Il y a toujours un contrecoup. Dans les années 1980, les gens ont commencé à dire des choses comme « Les femmes devraient rester à la maison ».
Et j’ai commencé à penser : « Eh bien, si c’est ce que vous voulez, comment allez-vous les faire revenir à la maison?« 

C’est ainsi que Margaret Atwood a construit sa dystopie sur cet échafaudage de craintes. Et pour la renforcer, elle a noté que le règne des ayatollahs en Iran a également contribué à l’inspirer. Ce faisant, elle a démontré à la fois la profondeur de sa haine pour les Républicains et la religion et la profondeur de son ignorance concernant le véritable caractère d’un régime d’oppression religieuse.

L’inspiration est une question insaisissable, mais ce qui est important, c’est le produit artistique final, alors peu importe s’il est né parce qu’on a vu un oiseau un instant sur le rebord de la fenêtre ou parce qu’on a eu un cauchemar basé sur la haine et l’ignorance du rêveur.
Margaret Atwood a écrit un livre basé sur un cauchemar qu’elle a continué à ressentir une fois éveillée, frissonnant de peur à cause d’un président républicain (Reagan). Il est donc naturel que plus tard la présidence de Trump ait également suscité chez elle des angoisses similaires. Le fait qu’aucun des événements décrits dans La servante écarlate n’ait jamais eu lieu ne l’a pas guérie de ses fixations.
Interrogée sur Trump, elle a répondu à Variety: C‘est choquant ! On a déjà vu des choses comme ça, exactement comme dans le livre. Les mensonges de la propagande, le remplacement de personnes à des postes clés dans le système judiciaire – parce que chaque régime totalitaire contrôle le système judiciaire. Et pour le dessert – les nazis : C’est Hitler ou Goebbels qui ont dit que si vous mentez fréquemment, les gens croiront votre mensonge. Mentez gros, et beaucoup ! Nous l’avons déjà vu. Et ce n’est pas une question de droite ou de gauche, même des régimes de gauche ont agi de cette façon. La question est: est-ce un régime totalitaire ou un régime non totalitaire ?

Si Trump a été une déception en matière de totalitarisme, les cauchemars d’Atwood des années 1980 convenaient aussi à merveille à ceux des années 2000 et la paranoïa d’une certaine gauche y a trouvé un nouveau débouché artistique. En 2017, la chaîne de télévision Hulu* a diffusé une série basée sur le livre, qui a été reçue dans certains milieux comme un portrait convaincant du camp du mal.
Le mérite de la série télévisée est d’avoir également ajouté un costume au cauchemar d’Atwood : l’uniforme de la servante, cape rouge et un bonnet blanc. Un bon déguisement vaut mieux qu’un bon argument et c’est peut-être la raison pour laquelle la fiction télévisée est apparue dans les manifestations en Occident bien plus souvent que le niqab iranien, qui lui, est tout à fait réel. Pourquoi choisir une image qui correspond à la réalité, quand on peut se déguiser en personnage de série ?

(Ci-dessus, une des manifestantes israéliennes se met en scène: elle est une femme enceinte, victime de l’oppression totalitaire actuelle, semblable à celle de la république de Galaad: Photo Eytan Riklis, Yediot Aharonot)


Ce costume d’esclave était déjà apparu dans les manifestations israéliennes il y a quelques années.
En 2019, les femmes du parti Yesh Atid, sous la houlette de Lihi Lapid*, portaient cape et bonnet en scandant Luttons pour la démocratie (alors qu’à l’époque il n’était pas question de réforme judiciaire). Ils veulent transformer Israël en un État halakhique.
Quel était alors leur prétexte ? La demande faite par certains ultra-orthodoxes d’autoriser des événements hommes et femmes séparés dans les institutions publiques. Or, si Lihi Lapid* a protesté contre cette séparation dues à des raisons religieuses, elle a trouvé nécessaire cette même séparation homme-femme pour le bien de Yesh Atid lorsqu’elle organisa la même année, quatre soirées exclusivement féminines.

Et maintenant, à nouveau, les costumes d’esclaves sont sortis du boidem*, pour nous avertir des horreurs qui seront déclenchées par la réforme judiciaire. Des femmes en uniforme défilent rue Kaplan*, marchent en ligne tête baissée.

(Photo Makor Rishon)

L’organisation Building an Alternative est à l’origine du spectacle, et l’une des organisatrices a très bien décrit ses inquiétudes face à la réforme : Nous ne voulons pas qu’ils décident quand nous faisons nos courses au supermarché, où nous nous asseyons dans le bus et quand nous emmenons nos enfants chez le médecin. Elle croit vraiment que c’est le plan des ultra-orthodoxes pour elle. Elle a vraiment peur comme Margaret Atwood.

(cette illustration de Shimon Angel se trouve dans l’article de Irit Linor)

Lors d’une rencontre entre pilotes et rabbins, qui s’est déroulée devant les caméras de la chaine 12 cette semaine, il s’est avéré que des pilotes ont également adopté les cauchemars d’Atwood. Pendant cette rencontre, le rabbin de Tsfat, Shmuel Eliyahu a déclaré décontenancé : Je ne comprends pas. Pour moi cette crise repose sur l’imaginaire de ce roman La servante écarlate. L’un des pilotes lui a répondu avec assurance : « Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? Votre attitude envers les femmes n’est pas la même que notre attitude envers les femmes. »
C’est vrai, mais celui qui croit que les femmes ultra-orthodoxes sont des esclaves et des machines à accoucher, peut-être que lui aussi, comme Atwood, imaginera le pire d’une société qu’il ne connait pas, donc tout est une question d’image de marque.

Et la protestation est en effet bien marquée et recycle les symboles de la faucille et du marteau, des communistes et du réseau du Home Box Office*. Le poing levé fut à l’origine celui d’une organisation communiste américaine. Il est devenu celui des Black Lives Matter, qui ont organisé des émeutes dans les villes américaines dans le cadre de la protestation contre le meurtre de George Floyd par la police.
Les chants de  » Honte ! Honte ! Honte ! » ont été importés d’une autre série télévisée populaire, cette fois il s’agit de Game of Thrones. Des députés de l’opposition les ont également utilisés lors d’une réunion du comité législatif.
Margaret Atwood elle-même a partagé des photos de cette marche des esclaves, mais il faut noter qu’elle les partage à chacune des marches, y compris celle qui s’est tenue cette semaine à Londres au profit des femmes iraniennes qui sont vraiment opprimées. Pour elle, ses cauchemars sont une représentation fidèle de la réalité et si ce n’est pas la réalité actuelle, alors c’est celle qui se cache juste au coin de la rue.

Si ce n’est pas Reagan, alors Trump. Si ce n’est pas Trump, alors c’est Netanyahu.
Cette image en rouge et blanc est intéressante car elle peut être recyclée selon les besoins et selon l’intensité du cauchemar du camp du Bien, en particulier ceux des croyants qui croient aux séries télévisées. Et celui qui y croit, a réellement peur.  »
Irit Linor, Israel Hayom, le 15/03/2023*.

J’avoue que les couleurs rouges et blanches, je les préfère ainsi dans les collines de Jerusalem:

(Photo: Ilan Bigan)

Il y a une quinzaine d’années, j’avais entendu à la radio l’interview d’une jeune soldate provenant d’une famille pratiquante. Si ses parents la soutenaient, elle avouait qu’elle était encore une exception.
Ce n’est plus le cas maintenant : Yael, l’ainée de nos petites filles, a étudié dans une école religieuse sioniste. Elle est partie à l’armée il y a une semaine comme toutes mes camarades de classe, m’a-t-elle dit. Aucune d’entre elles n’a choisi le שרות לאומי (sherout leoumi)*.  Bien loin du rouge et blanc, Yael a revêtu l’uniforme de Tsahal. Elle a choisi d’être combattante et intégrera un bataillon mixte, sans doute les Lions du Jourdain, dont la devise reprend la phrase de la Mishna:

Fort comme un tigre, léger comme un aigle, rapide comme un cerf et héroïque comme un lion
עז כנמר וקל וקל כנשר רץ כצבי וגיבור כאריה

et son désir est d’y devenir officier.

A bientot,

* La rue Kaplan est une artère majeure du centre de Tel-Aviv, allant de l’échangeur du centre Azrieli à l’est à la rue Ibn Gabirol à l’ouest.

*Lihi Lapid est l’epouse de Yaïr Lapid, fondateur du parti Yesh Atid

* Le réseau Hulu est une plateforme en ligne de vidéo à la demande par abonnement, qui propose du contenu cinématographique et audiovisuel. Sa société mère est Walt Disney Company

* Home Box Office, Inc. est une société multinationale américaine de médias et de divertissement.

*Boiden : Petit placard, place dans les faux plafonds, tres utile pour oublier ce qu’on y a range

*Article de Irit Linor:
https://www.israelhayom.co.il/magazine/hashavua/article/13824185

*Sherout Leoumi : service civil. Il concerne les jeunes filles religieuses qui ne veulent pas s’engager dans l’armée.

12 réflexions sur “Robe écarlate et bonnet blanc…

  1. Magnifique article, Hannah.
    Toute mon admiration à Yaël (et toutes ses copines de classe).
    Je reste inquiet, mais confiant.
    נשיקות וחיבוקים

  2. Merci Hannah c’est vraiment passionnant!
    J’ai lu aussi un article sur le symbole du poing fermé, lui aussi importé des Etats-Unis (et qui était aussi celui de la JDL)

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  6. Tres important
    merci Hanna
    notons que le symbole du Poing fermé et brandi vient de Otpor (Resistance en serbe) qui a ete utilisé ds toutes les revolutions de couleur organisées et pilotés par la CIA ds les années 2000
    JP Lledo

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