Au cœur de Jerusalem, à l’extrémité de Nahalat Shiva* se trouve une grande place que les Yerushalmim appellent la place des chats.

(Photo Jerusalem 360, https://israelin360.co.il/)
J’ai parfois demandé pourquoi ce nom? Et à chaque fois la réponse fut: Bonne question!
D’autant que cette place ne s’appelle pas la place des chats. Elle a un nom officiel: place Makabi Motzri-Mani.
Qui était donc ce Makabi? Etait-il né à Hanouka pour que ses parents l’aient appelé ainsi ? Même pas !
Makabi Motzri-Mani est né 10 avril 1914 au Caire. Il était le fils aîné du docteur Dr. Avraham (Albert) Motzri (l’un des propriétaires de l’hôtel King David à Jérusalem ainsi que de plusieurs hôtels au Caire) et de Mazal (Matilda) Mani, originaire de ‘Hevron.
Grâce à sa mère, Makabi reçoit une éducation sioniste et parle couramment l’hébreu, l’arabe, le français et l’anglais.
À l’âge de 15 ans, il part étudier à Mikve Israël*, à 18 ans il l’un des fondateurs du moshav Tel Zur, devenu depuis un quartier d’Even Yehuda dans la région du Sharon.
Agé de 22 ans, il épouse Ra’hel Green*. née en 1915 à Alexandrie en Égypte, dans une famille sioniste.
Installés au moshav Tel Tzur, ils créeront tous les deux une ferme pour la cuture des roses qui restera longtemps l’une des plus importantes d’Israel.
Tandis que son épouse est opérateur radio au Palma’h, Makabi s’engage dans la Haganah, dans ce qu’on appelle les פו »ש (Posh) ou פלוגות שדה (plougot sade) qui sont des brigades crées en 1937 pour protéger des attaques arabes les kibboutzim et villages juifs.
Ces brigades assuraient la sécurité des maisons et des champs mais en même temps n’hésitaient pas à patrouiller dans les villages arabes pour arrêter les membres des gangs. Yitshak Sade* avait ainsi défini leur rôle:
Nous avons besoin d’une armée et non de gardes, d’une armée et non d’une défense dans des postes de police, d’une armée qui ne soit pas attachée à un endroit précis, d’une armée nationale dont le travail consiste à rechercher l’ennemi et à l’attaquer aux endroits où il trouve, à l’attaquer aussi dans ses bases, pour prendre des mesures préventives.
Makabi deviendra d’ailleurs l’assistant d’Ytshak Sade tout en restant actif sur le terrain bien qu’il fut père de famille.
À la fin de la deuxième guerre mondiale, il part en Europe. Il sera un des organisateurs de ce qu’on appelle l’alyia clandestine ou aliya Bet* pour aider les survivants de la Shoah à immigrer en Israel.
Pendant la guerre d’Indépendance, il est officier de ravitaillement dans la brigade Harel et donc accompagne les convois de ravitaillement sur la route Tel-Aviv-Jérusalem. Mais en avril 1948, il est blessé dans une embuscade, dans la région de Latroun, tout près de Bab El Wad, et deux jours plus tard, il meurt des suites de ses blessures:

(Bab El Wad maintenant Shaar Hagaï, la porte de la vallée. Ce qui est maintenant le début de la montée vers Jerusalem était un endroit des plus dangereux, propice aux embuscades)
Voici ce que raconte sa fille Alona Keren-Makabi :
En avril 1948, ma mère, Oded (son frère) et moi sommes partis dans une voiture blindée et nous nous sommes arrêtés au kibboutz Huldah, où les convois se rassemblaient avant de monter à Jerusalem assiégée. Là, nous avons rencontré mon père, lors de ce qui s’est avéré plus tard être notre dernière rencontre. Nous sommes partis chez ma tante à Tel-Aviv pour fêter Pessa’h tandis que mon père accompagnait un grand convoi de camions du centre du pays à Jérusalem. Lorsqu’il a appris que la queue du convoi avait été touchée par des tirs de snipers, il a fait demi tour pour aider, mais a été grièvement blessé par les mêmes snipers. Pendant deux jours, il a survécu à l’hôpital sans que ma mère le sache. Il avait demandé qu’on ne lui dise pas.
Dans les combats pour le contrôle de la route vers Jerusalem périrent de nombreux soldats, victimes comme Makabi Motzri des snipers juchés sur les collines avoisinantes.
Je passe, debout à côté de la pierre, la route goudronnée noire, rochers et crêtes. Le soir tombe lentement, une brise marine souffle. Les premières étoiles au-delà de Beit Mahsir.
Bab al-Wad…
S’il vous plait, souvenez-vous de nos noms, de ceux des convois qui ont forcé la route vers la Ville, rappelez-vous nos noms pour toujours. Les bords du chemin, sont jonchés de nos morts, les squelettes d’acier sont muets comme nos compagnons.
Ici, le goudron et le plomb bouillaient au soleil. Les nuits passaient ici avec feu et couteaux. Ici la tristesse et la gloire habitent ensemble, armure carbonisée et un nom inconnu.
Et je marche, sourd, en passant ici. Et je me souviens d’eux, un par un. Ici, nous nous sommes battus ensemble sur des falaises et des rochers. Ici, nous étions ensemble comme une seule famille.
Un jour de printemps les cyclamens refleuriront, et les pans des montagnes se couvriront du rouge des coquelicots.
Celui qui marchera dans nos pas, qu’il ne nous oublie pas, nous qui étions à Bab el Wad…
Ra’hel apprit la mort de son mari pendant le seder de Pessah. Yitshak Rabin l’informa qu’une place lui était réservée dans un petit avion qui partait ravitailler Jerusalem mais elle refusa. Elle ne voulait pas prendre de place et de poids dans l’avion pour lui permettre de transporter encore plus de munitions et de ravitaillement pour Jerusalem assiégée.
Après la mort de son mari, Ra’hel changera son nom de famille en Makabi. En 1953, elle se remariera et ira vivre jusqu’à sa mort en 2003 au kibboutz Hatzor Ashdod à côté de Gan Yavne.
Et les chats dans tout ça? Je suis sûre que certains ont même remarqué que j’avais écrit חתולות (hatoulot), les chattes et non pas חתולים (hatoulim) les chats au masculin. Quelques malintentionnés ont avancé que ‘hatoulot indiquait que cette place était un endroit privilégié pour des dames dites de petites vertu, des hatoulot. Ce sont des médisants, ils ne connaissaient pas notre parler yerushalmi*: nous appelons ‘hatoula tous les chats, mâles et femelles, y compris le chef de bande félin qui règne sur les poubelles dans ma rue.
Il reste cependant un mystère: sur cette place, je n’y ai jamais vu de chat. Il est vrai qu’avec la circulation tout autour et les gaz d’échappement…
A bientôt,
*Nahalat Shiva:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2012/09/06/la-chanson-francaise/
*Mikve Israel:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2014/02/14/les-generations-oubliees-9/
* Motzeri Mazal (Matilda): Elle est née à Hébron en1894 (25.12.1894) au moment de ‘Hanouka. Elle avait sans doute rêvé qu’on l’appelle Makabi ou Makabit.
Son père Melchiel Meni fut le premier juge juif de Jerusalem, à l’époque ottomane et pendant le mandat britannique. Bien que son nom soit méconnu du grand public, il fut l’un de ceux qui achetèrent de nombreuses terres et participa à la fondation de plusieurs quartiers à Jérusalem.
*Ra’hel Green (1915-2003): A Alexandrie, Ra’hel Green était active au sein de l’Hashomer Hatsair et décida de s’installer en Eretz Israel. En 1968, elle publiera ses impressions de ses premières visites en Terre d’Israel dans un livre intitule Mon Egypte.
Son père, Felix Green, était l’un des leaders du mouvement sioniste (clandestin) en Egypte. Sa mère, Janine, était la fille du baron Félix de Menashe, un partenaire commercial de la famille Motzeri. De Menashe avait initié la création du « Comité pour la Terre d’Israël » en tant qu’organisation de soutien financier aux colons juifs en Terre d’Israël.
*Yitshak Sade (1890-1952) était le commandant du Palmach et l’un des fondateurs des Forces de défense israéliennes au moment de la création de l’État d’Israël
*Aliya clandestine:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2019/05/01/%d7%a9%d7%90%d7%a8%d7%99%d7%aa-%d7%94%d7%a4%d7%9c%d7%99%d7%98%d7%94-les-survivants/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2016/06/17/des-livres-blancs-mais-pas-tres-propres/
*Yerushalmi=Hyérosolomitain:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2018/11/22/parlez-vous-le-yerushalmi/
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2014/03/02/nous-les-yerushalmim/