Prends ton sac et ton bâton…

Les cartables sont bientot vidés, les livres rendus. Les cahiers, eux, sont rangés dans une sorte de gheniza familiale où ils passeront l’été sans qu’on les ait ouverts, avant d’être définitivement jetés fin août.
-Mais connaissez-vous l’histoire des cartables et sacs, ai-je demande à mes petits enfants?

La chanson de la vidéo ci-dessus s’appelle  קח תרמיל קח מקל (Ka’h tarmil, ka’h makel) « Prends un sac, prends un bâton » et nous invite à partir en Galilée.

Le mot sac est תרמיל (tarmil), besace de berger, est un mot d’origine araméenne (en araméen on dit tarmila) et entre dans l’hébreu à l’époque de la Mishna. Comme le dit ce proverbe:  » אין הסומא יוצא במקלו ולא הרועה בתרמילו , aucun aveugle ne sort sans son bâton et aucun berger sans sa besace. On le connait aussi grâce à la traduction en arameen de la Thora de Yonathan Ben Ouziel.

(tombeau de Yonathan ben Ouziel à Tsfat)

Le premier sac dont on parle dans la Bible est aussi une besace, et une besace remplie de pierres pour l’occasion:
1 Samuel, 17 40: « Il (David) prit son bâton à la main, choisit dans le torrent cinq cailloux lisses, qu’il mit dans sa panetière de berger, et, muni de sa fronde, s’avança vers le Philistin. »
וַיִּקַּח מַקְלוֹ בְּיָדוֹ, וַיִּבְחַר-לוֹ חֲמִשָּׁה חַלֻּקֵי-אֲבָנִים מִן-הַנַּחַל וַיָּשֶׂם אֹתָם בִּכְלִי הָרֹעִים אֲשֶׁר -לוֹ וּבַיַּלְקוּט– וְקַלְעוֹ בְיָדוֹ; וַיִּגַּשׁ, אֶל-הַפְּלִשְׁתִּי
La traduction française parle joliment de la panetière de berger (l’hébreu est moins précis כלי רועה (kli roe), c’est un « contenant » de berger) mais « oublie » le mot suivant ובילקוט (ubyalkout) dans une besace: il a mis les pierres dans son « contenant » de berger (peut-être une petite bourse) et dans sa besace.
De nos jours, la besace du roi David, ילקוט (yalkout) est devenue un cartable tout en ayant aussi, depuis le Moyen-Age, le sens de fichiers reliés et donc de recueil  comme, par exemple, le célèbre recueil des  canulars de Palma’h*.

Tarmil, yalkout sont les mots les plus courants pour designer des sacs. Mais deux autres ont été également utilisés: Amta’hat et Tsiklon.

Le premier, d’origine akkadienne, אַמְתַּחַת (amta’hat), nous est parvenu grâce au récit où  Joseph accuse son frère Benjamin d’avoir volé une coupe en argent. Il s’agit sans doute d’un grand sac, comme un sac de voyage:
« Joseph donna cet ordre à l’intendant de sa maison: Remplis de vivres les sacs de ces hommes… Et ma coupe, la coupe d’argent, tu la mettras à l’entrée du sac du plus jeune… » (GenèseBereshit, 44, 1)
וַיְצַו אֶת-אֲשֶׁר עַל-בֵּיתוֹ, לֵאמֹר, מַלֵּא אֶת-אַמְתְּחֹת הָאֲנָשִׁים אֹכֶל…וְשִׂים כֶּסֶף-אִישׁ, בְּפִי אַמְתַּחְתּוֹ. ב וְאֶת-גְּבִיעִי גְּבִיעַ הַכֶּסֶף, תָּשִׂים בְּפִי אַמְתַּחַת הַקָּטֹן

Le second, ציקלון (tsiklon) se trouve dans le livre des Rois (2 Rois 24 42). Après que le prophète Elisha eut ramené à la vie le fils de la Sunamite, il est question d’un cadeau inattendu, du pain, alors que règne le famine:
Un homme, venant de Baal-Chalicha, apporta un jour à l’homme de Dieu, comme pain de prémices, vingt pains d’orge et du gruau dans sa panetière.
וְאִישׁ בָּא מִבַּעַל שָׁלִשָׁה, וַיָּבֵא לְאִישׁ הָאֱלֹהִים לֶחֶם בִּכּוּרִים עֶשְׂרִים-לֶחֶם שְׂעֹרִים, וְכַרְמֶל, בְּצִקְלֹנוֹ
Tsiklon est sans doute d’origine ugarit où le mot basaql veut dire culture ou gerbe.

De nos jours, à l’armée, les recrues ont toutes leur שק חפצים (sak ‘hafatsim) sac polochon.


On pourrait penser que le mot sac est un ajout récent à l’hébreu, et bien non. Lui aussi se trouve dans le Tanakh. Toujours dans la même histoire des retrouvailles entre Joseph et ses frères, il est écrit (Bereshit-Genèse 42,35):
« Or, comme ils vidaient leurs sacs, voici que chacun retrouva son argent serré dans son sac« 
וַיְהִי, הֵם מְרִיקִים שַׂקֵּיהֶם, וְהִנֵּה-אִישׁ צְרוֹר-כַּסְפּוֹ, בְּשַׂקּוֹ

Charger un sac sur son épaule pour partir est un des gestes plus plus anciens de l’humanité et en hébreu la racine sh-k-m a donné shekem, l’épaule, et  le verbe se lever tôt.
Gen 21 14: « Abraham se leva de bon matin, prit du pain et une outre pleine d’eau, les remit à Agar en les lui posant sur l’épaule
וַיַּשְׁכֵּם אַבְרָהָם בַּבֹּקֶר וַיִּקַּח-לֶחֶם וְחֵמַת מַיִם וַיִּתֵּן אֶל-הָגָר שָׂם עַל-שִׁכְמָהּ

A cette époque, on l’attachait en enroulant une corde en lin des épaules a la taille. C’était une expression courante pour dire qu’on se préparait à un voyage. C’est ainsi que Dieu dit au prophète Jérémie:
 »
Va, achète-toi une ceinture de lin et attache-la sur tes reins… »Prends la ceinture que tu as achetée, et qui couvre tes reins, mets-toi en route pour gagner l’Euphrate…
Ce geste de charger son sac sur une épaule se retrouve dans la racine כתפ (k.t.f) qui signifie charger et aussi épaule. Ainsi,  Mendele Mokher Sefarim* écrira:
ובדרך היה פונה כה וכה ומביט כגנב נזהר לנפשו, מכתף את תרמילו המלא, פעם על כתף זו ופעם על כתף זו » .
En chemin, il se tournait ça et là et regardait comme un voleur prudent, soucieux de sa sécurité, chargeant (mekatef) son sac plein d’une épaule (katef) à l’autre. (Le livre des gueux 1909)

Aujourd’hui, pour le cartable, on emploie aussi souvent le terme général de תיק (tik) d’origine greque (θηκη, theke) et même תיק גב (tik gav), puisqu’il s’agit d’un sac à dos.

Et le bâton מקך (makel)? Le voici, compagnon du sac תרמיל (tarmil).
Dans le livre de Chemot (l’Exode) il est écrit au moment du premier Pessa’h: « Et voici comme vous le mangerez: la ceinture aux reins, la chaussure aux pieds, le bâton à la main
וְכָכָה, תֹּאכְלוּ אֹתוֹ–מָתְנֵיכֶם חֲגֻרִים, נַעֲלֵיכֶם בְּרַגְלֵיכֶם וּמַקֶּלְכֶם בְּיֶדְכֶם

Le mot makel est à relier au verbe lehakel alléger, car le bâton aide à marcher et allège ainsi les difficultés du voyage.

Mais les mots sac et bâton ont parfois aussi une connotation négative. Ils sont aussi synonymes de saleté, voire de violence. C’est pourquoi il est écrit dans le Talmud qu’il était interdit pour un homme d’entrer dans le Temple avec son sac et son bâton, וּבַיַּלְקוּטו ובמקלו, et avec de la poussière sur ses pieds. On dirait aujourd’hui avec armes et bagages. Et l’expression populaire   בא אליו במקלו ובתרמילו (ba elav bemaklo uvetarmilo) veut dire:  il l’a attaqué violemment.

De nos jours le tarmil et le makel sont signes de randonnées et les randonneurs sont les תרמילאים (tarmilayim) qui prennent parfois des chemins périlleux:


(vers la grotte de Keshet en Galilée)

 

A bientôt,

* Targoum Yonatan ou Targoum Yerushalmi: traduction de la Thora en araméen attribuée à Yonatan ben Ouziel qui  s’éloigne parfois du texte pour y inclure des midrashim

* Le canulars du Palma’h sont un recueil d’histoire humoristiques, absurdes et souvent critiques que se racontaient les soldats pendant la guerre d’Indépendance.

* Medele Mokher Sefarim: Mendele le vendeur de livres, ou Shalom Yaakov Abramowicz (1836-1917), auteur yiddish et hébraïque, originaire d’Odessa.

* Le mot תיק (tik) et tik veut aussi dire sac à main et dossier. Ouvrir un tik contre quelqu’un c’est le mettre en examen.

Tichri

Dans quelques jours nous serons dans le mois de Tichri et nous commencerons une nouvelle année.

Tichri (en hébreu : תִּשְׁרֵי) est le septième des douze mois de l’année religieuse mais le premier de l’année civile et donc nous fêterons le Nouvel An.

Tout ce qui touche au calendrier est tellement compliqué chez nous que je préfère vous laisser lire les explications du site www.calj.net.

Sur ce site vous saurez tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le calendrier juif et si vous ne voulez pas en savoir plus pour le moment, alors alors continuez avec moi:

C’est au mois de Tichri que commence  l’automne, qui comprend les trois mois de Tichri, ‘Hechvan et Kislev. Les trois tribus correspondant aux mois de l’automne sont Éphraïm, Menaché (fils de Joseph)

et Benjamin

dont l’emplacement au sein du campement dans le désert,lors de la sortie d’Égypte, se situait à l’ouest du Tabernacle. On appelait  l’ensemble de leurs campements le camp d’Éphraïm.

Dans la Bible, on ne parle pas du mois de Tichri dont le nom a lui aussi une origine babylonienne. On le mentionne seulement comme 7eme mois.

Vous pensez bien que là non plus, les kabbalistes n’ont pas pris en compte l’origine babylonienne du mot. Pour eux, les lettres de Tichri en hébreu (תשרי) peuvent être interverties pour former le mot « début » (רשית), tel qu’il apparaît dans le Deutéronome 11:12, un verset qui décrit la Providence Divine sur la Terre d’Israël et sur le monde entier : « Les yeux de ton Dieu sont toujours là, du début jusqu’à la fin de l’année.  Ils l’appellent aussi le mois « le plus cher de tous » car c’est le septième mois et comme on dit dans le Talmud « tous les septièmes sont chéris » mais aussi le mois rassasié  car en hébreu, le mot « sept » (שבע) s’écrit de la même manière que le mot « rassasié » auquel il est apparenté.

Et c’est vrai qu’en Tichri on est rassasié de fêtes, c’est simple on ne va pas arrêter et il y en aura pour tous les goûts : des sérieuses, des gaies, où on mangera des mets succulents et sucrés (parfois un peu trop)  d’autres où on ne mangera pas du tout …

Juste pour vous mettre dans l’ambiance de ce mois de Tichri:

Esther Rada interprète Adon Selihot (Dieu de pardon) l’un des chants de Tichri les plus populaires. Au début de la vidéo, elle parle de son grand père en Éthiopie qui le chantait en amharique, vêtu de sa longue robe blanche.

Je l’ai entendue  hier soir dans la voiture en revenant de Rishon leTsion ou je vais chaque semaine garder Omer et Iddo mes petits-enfants.

A bientôt,