On ne doit pas compter sur un miracle!

La plupart d’entre nous fêtent ‘Hanouka* d’une manière traditionnelle, allumant les bougies, mangeant des beignets et parfois rajoutant une prière sans se poser de question sur le phénomène du miracle. Il est vrai que si l’on commence… Mais ces questions nous taraudent depuis toujours. On n’y croit ou on n’y croit pas, on cherche des explications au miracle, on l’esquive parfois, mais que faire? A chaque fête, le voilà qui revient, on nous dit qu’une fois encore, nous nous en sommes sortis (de justesse) grâce à un miracle!
Pour un peuple tel que le notre qui doit réviser ses mécanismes de survie à chaque génération, le concept de miracle peut sembler soit totalement  séduisant soit totalement non pertinent.
A travers ces chants de ‘Hanouka, j’aimerais vous exposer cette problématique du miracle ou du non-miracle de notre survie et notre retour au pays.
Voyons comment le sujet fut abordé en 1923 dans le monde du sionisme socialiste:
C’est pour ses élèves de « L’école des travailleurs » de Tel Aviv que l’écrivain Aharon Zeev* a composé le chant אנו נושאים לפידים, Nous sommes les porteurs de torches.

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Il fut aussitôt entonné lors des défilés traditionnels de torches pendant ‘Hannouka,

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(Les porteurs de torches au moshav Gia au sud d’Ahkelon)

et fut aussi adopté par les pionniers des opérations חומה ומגדל, Tour et palissades*,

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et devint ainsi l’hymne symbole de l’édification du pays par le travail et le combat:

En Israel, tout le monde le connait et le chante pour ‘Hannouka:
אנו נושאים לפידים בלילות אלפים זורחים השבילים מתחת רגלינו ומי אשר לב לו הצמא לאור ושא את עיניו וליבו אלינו לאור ויבוא
Nous sommes les porteurs de torches, des milliers dans la nuit, les sentiers brillent sous nos pas et pour celui dont le coeur est assoiffé de lumiere, qu’il lève ses yeux et son coeur vers nous, vers la lumière et qu’il nous rejoigne…

Le texte continue ainsi: נס לא קרה, לנו פך שמן לא מצאנו, לעמק הלחנו, ההרה עלינו, מעינות האורות הגנוזים גלינו
« Nous n’avons pas eu droit à un miracle, nous n’avons pas trouvé de cruche d’huile, nous sommes allés vers l’Emek*, nous sommes montés sur la montagne, nous avons trouvé des sources cachées de lumière « .

Dans cette dernière phrase, l’auteur concentre tout son désaccord avec la tradition juive: pas de miracle, pas de cruche dont l’huile brûlera 8 jours bien que la quantité ait été juste suffisante pour un seul et il rajoute en plus: nous sommes montés sur la montagne. Quand on parle de la montagne dans les textes traditionnels c’est du Sinaï dont il s’agit, montagne où seul Moshe a eu le droit de grimper pour recevoir la Thora! Ce désaccord d’avec la tradition est confirmé par l’expression des sources cachées* de lumière. Pour Zeev, l’enseignement rabbinique a caché cette lumière, la délivrance du peuple juif est en route uniquement grâce au travail des pionniers.

Enfin, le chant  se termine ainsi:
בסלע חצבנו עד דם, ויהי אור nous avons secoué (exactement barraté) le rocher jusqu’au sang et la lumière fut.
C’est par le travail acharné, le dévouement et l’héroïsme des pionniers qu’arrivera la délivrance du peuple juif et non pas par des miracles comme au temps de Moshe. Il en est de même pour la lumière: l’expression ויהי אור(vayehi or), la lumière fut, est empruntée au texte biblique de la création.

C’est une semblable conception du monde qui se retrouve dans un autre chant de ‘Hanouka de la même époque.
Il détourne la phrase du תהילים (Psaume):
מִי–יְמַלֵּל, גְּבוּרוֹת יְהוָה; יַשְׁמִיעַ, כָּל-תְּהִלָּתוֹ
Qui saura dire la toute-puissance de l’Eternel, exprimer toute sa gloire?  (תהילים (Psaume) 106, 2)
en
qui saura dire la vaillance d’Israel en ces jours, à chaque génération se lève un héros qui délivre le peuple…

 

Ces deux chants sont le reflet d’une conception du sionisme, celle de ceux qui ne voulaient pas intégrer la dimension du miracle dans l’interprétation de l’histoire: il faut dire que l’histoire juive leur donnait toutes les bonnes raisons de croire que les miracles n’étaient plus d’actualité depuis longtemps.
Mais ce serait trop simple de les classer en « non religieux ».
Au milieu du 19 ème siècle en Pologne vivait le Rav Tzvi Hirsch Kalisher*. On le considère comme l’un des précurseur du sionisme politique.
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Bien que rabbin, il avait pourtant une conception du sionisme et du retour des Juifs en Israel pas si éloignée de celle des pionniers du mouvement ouvrier. Pour lui, il était impensable d’attendre un signe de Dieu pour monter en Eretz .
Voici ce qu’il écrivait, bien longtemps avant que soit fondé le mouvement ouvrier et composé le chant Nous sommes les porteurs de torches:
« …La délivrance d’Israel, nous l’attendons tous! Mais ne pensez pas que soudain Dieu descendra du ciel  vers la terre pour dire à chacun d’y aller et qu’il enverra son messie sur le champ, qu’il vous rassemblera à Jerusalem et qu’il lui construira une muraille de feu et que le Temple tombera du ciel! Ce n’est pas en seul jour mais lentement que viendra la délivrance, ce n’est que que lentement, lentement qu’elle fleurira…
Et (quand cela aura lieu) nous nous en rendrons compte logiquement, grâce à notre intelligence,  et nous comprendrons alors pourquoi il aura fallu que cette délivrance soit le résultat de nos efforts et non pas d’un coup, par un miracle évident comme par la venue du Messie… » 
Zvi Hirsch Kalisher  (Drishat Tsion)

Il faut bien dire que la conception du retour en Eretz Israel et de la délivrance du peuple juif énoncée par le rav Kalisher est en total désaccord avec la plupart de ses collègues rabbins. Aharon Zeev, le poète du mouvement ouvrier, et lui sont sur la même longueur d’onde:  la renaissance du peuple juif sur sa terre s’obtiendra par les efforts et le travail obstinés des Juifs. Cependant (n’oubliez pas qu’il était rabbin!) il ne renonce pas au miracle, il le subordonne seulement aux efforts de l’homme. En fait, il s’agit d’un travail d’équipe.

En écrivant ces phrases, je pense au beau poème de Tchernikhovsky: אומרים ישנה ארץ (Omerim yeshna eretz), On dit qu’il existe un pays.
Le poète se demande si vraiment un tel pays existe pour les Juifs: « nous avons traversé tellement de déserts et de mers et ne l’avons pas trouvé« . Il attend lui aussi une terre miraculeuse et exprime le désespoir du peuple juif « elle n’est peut être plus là אוּלַי כְּבָר אֵינֶנָּה ?
En fait, il y est arrivé mais ne la reconnait plus. Mais contrairement aux héros porteurs de torches, Tchernikhovsky ne se coupe pas de la tradition juive. C’est ainsi qu’il rencontre Rabbi Akiva et lui demande:
Salut à toi Akiva, salut à toi rabbi, où sont donc tous les héros*,  où est le Makabi*?
?שָׁלוֹם לְךָ עקיבא,  שלום לך רבי !אֵיפֹה הֵם הַקְּדוֹשִׁים,אֵיפֹה הַמַּכַּבִּי

Et obtient ainsi une réponse qu’aurait appreciée Kalischer
!עונה לו עקיבא ,אומר לו הרבי ,כל ישראל קדושים ,אתה המכבי
Akiva, lui répond, le rabbi lui dit: tout Israel est un héros, et tu es le Makabi

En d’autre termes: au travail!

De toute façon, comme le dit la Guemara: »On ne doit pas compter sur un miracle! »

 

A bientôt,

*’Hannouka:

‘Hanouka samea’h חנוכה שמח

Hanou Ka ou Hanouka?


*Aharon Zeev (1900-1968): né à Sokolow Podalsky sous le nom de Aharon Zeev Weintraub, membre du kibboutz Degania puis éducateur et écrivain pour enfants, journaliste au journal de la Histadrout, Davar. La chanson Nous sommes les porteurs de torches a été composée au début des années 30.

*Emek: Emek Yezreel en basse Galilée

*Le terme גנוזיםת signifie cachés, enfouis, il rappelle la gheniza où sont enfouis les textes sacrés lorsqu’ils ne peuvent plus servir. Il s’agit donc là d’une rétention volontaire de sources du savoir.

*Rav Kalisher (1795-1874):
https://en.wikipedia.org/wiki/Zvi_Hirsch_Kalischer

*Tours et palissades:
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2013/12/06/hanita-letape/

*Tchernikhovsky Shaul (1875-1943):
https://en.wikipedia.org/wiki/Shaul_Tchernichovsky

*J’ai préféré traduire קדושים (Kedoshim) par héros, car la traduction habituelle « saint » ne rend absolument pas la signification du mot hébraïque.

*Makabi: héros de la révolte juive contre les Grecs, célébrés lors de la fête de ‘Hannouka.

*L’école des enfants des travailleurs: fondée par des militants du mouvement ouvrier juif de Palestine, très proche des idées du kibboutz et mettant en avant les réalisations des pionniers. Elle prônait une partielle auto-gestion partielle de la part des enfants, un peu comme le fit Janusz Korczak dans son orphelinat de Varsovie,  et mettait en valeur le travail manuel.

3 réflexions sur “On ne doit pas compter sur un miracle!

  1. Génial, Hanna. L’identité juive est multiple, comme Israël et la diaspora le démontrent chaque jour.
    Voilà qui permet à un Juif athée (mais respectueux des croyances d’autrui) de vous souhaiter, ainsi qu’à tous les vôtres חג שמח !

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