Et vous raconterez à vos enfants…

Si on ouvrez une Haggadah, vous serez surpris de ne pas y trouver vraiment l’histoire de la sortie Égypte. Elle est bien morcelée ici et là, mais pour l’essentiel, le texte est un composé de prières et de commentaires. Les enfants sont supposés la connaître déjà (ou d’avoir vu le film !)

Tout d’abord le texte est en hébreu, mais, la plupart du temps,  vous trouverez de nombreuses haggadot bilingues.

En voici une en hébreu et en russe

judaisme pessah haggada russe

En voici une autre en hébreu et en perse:

judaisme pessah Haggadah perse bilingue

Certaines sont émouvantes et chargées d’histoire  comme celle-ci écrite en 1947 en Allemagne dans un camp de personnes déplacées:

judaisme pessah haggada camps de refugies allemagne 1947

Mais dans toutes, quelque soit leur provenance, vous lirez le même texte et les mêmes commentaires, vous direz les mêmes prières, vous ferez les mêmes gestes et tout cela dans le même ordre quelque soit l’endroit,

pessah tsahal

ou l’époque:

Haggadah_Barcelona_Seder_BH_20B_A

(haggadah de Barcelone)

Cependant on trouve ici en Israël, un certain nombre de Haggadot qui  se réfèrent non seulement à la sortie d’Egypte mais aussi à l’histoire moderne : la lutte contre l’occupant britannique, les valeurs des halutzim (pionniers),  la Shoah et l’édification de l’Etat.  En fait, de nos jours, pour beaucoup d’Israéliens la fête de Pessah n’est que le début de tout un mois de commémorations où se suivent Yom Hashoah vehagvura (le jour de la Shoah et de la vaillance), Yom Hazikarone (jour du souvenir pour les soldats et les victimes du terrorisme) et enfin Yom Haatsmaout (le jour de l’ Indépendance)

Pour l’heure, je voudrais vous présenter trois Haggadot très particulières,

La première ne se trouve pas en Israël. Elle est conservée au musée de Sarajevo en Bosnie:

haggada sarajevo musee

La Haggadah de Sarajevo est un manuscrit enluminé dont on pense qu’il fut écrit et illustré à Barcelone en 1350 et emporté par son propriétaire d’alors lors de l’expulsion d’Espagne en 1492.

haggadah de sarajevo2

Le texte est  écrit sur un parchemin de veau et enluminé à la feuille d’or et de cuivre.

haggadah sarajevo 2

Apres 1492, il est difficile de suivre ses pérégrinations  On sait seulement qu’il refait surface en Italie en 1500 et puis plus rien jusqu’à  l’année 1894 où un Juif de Sarajevo, Joseph Cohen, le vend au musée de la ville parce qu’il n’a pas de quoi nourrir sa famille. Pendant la deuxième guerre mondiale, ce manuscrit échappera à la destruction nazie grâce au conservateur du musée, le Dr Dervis Korkuts qui le cachera dans le sous sol d’une mosquée.

Pendant la guerre de Bosnie, il y a un peu plus de 20 ans, le manuscrit s’est a nouveau trouvé en danger car le musée de Sarajevo se trouvait sur la ligne de front. Il a été à nouveau sauvé de la destruction par le directeur du musée  Enver Imanovic,  et transporté dans un coffre de la Banque Nationale. En 1999 pendant la guerre au Kossovo,  le fils et la petite fille du Dr Korkuts furent accueillis comme réfugiés en Israël grâce au témoignage de Mira Papo à qui le Dr Korkuts avait sauvé la vie pendant la Shoah.

La deuxième est la Haggada de Mahanaim: « Jacob se mit en chemin et il rencontra des envoyés du Seigneur. Il dit, en les voyant, ceci est le camp du Seigneur. il appela alors l’endroit Mahanayim » (Genèse 32:2-3).

En fait, il ne s’agit pas d’une mais de quatre Haggadot, écrites à la main sur des feuilles de papier reliées en cahier et  illustrées, prolongeant ainsi la tradition médiévale des manuscrits juifs enluminés.

haggadah mahanaim 2

Là,  pas de feuille de cuivre ou d’or. Nous sommes entre 1941 et 1944 et le village de Lanteuil, en Corrèze   ne sait pas que, pour la famille Neher, il s’appelle Mahanaim. Ces 4 Haggadot sont le fruit d’un travail en commun: Albert Neher, le père du philosophe André Neher* dessine les illustrations, ses fils  se chargent des commentaires et son gendre écrit le texte.

Pourquoi ce travail? Quand elle s’enfuit de devant les Allemands, la famille ne prend qu’une Haggadah, persuadée comme beaucoup que la guerre ne durera pas

Albert Neher commence  la première Haggadah pour sa petite fille dont le père est prisonnier et continuera pour toute la famille jusqu’à la fin de la guerre.   Dans chacune l’iconographie est centrée sur Jérusalem. et elles finissent sur le même point d’orgue : un juif, le bâton à la main et le sac à l’épaule, se tient dans la brisure de deux collines noires et acérées entre lesquelles, soudain, il découvre pour la première fois, Jérusalem.

haggadah mahanaim 3

Les quatre Haggadot feront ce voyage et se trouvent maintenant a Jérusalem

Enfin la dernière Haggadah dont je veux vous parler  n’est ni particulièrement célèbre ni particulièrement belle. Je ne peux même pas vous la présenter, elle a disparu dans un déménagement. C’est la Haggadah du rabbin Jean Schwartz avec des dessins à colorier. Il y avaient deux pages  qui me faisaient rêver: Sur la première  on voyait  des adolescents heureux de fuir barbelés et miradors et sur l’autre, tout au début, on lisait un discours qui me rendait très fière, celui de  David ben Gourion  en réponse au secrétaire d’état John Foster Dulles qui lui demandait quels Juifs il représentait:

« Dites-moi, Monsieur le Premier ministre – Qui donc, vous et votre état êtes censés représenter?
Les Juifs de la Pologne, ou ceux du Yémen, de Roumanie, du Maroc, d’Irak, de Russie ou peut-être du Brésil ? ….Après 2000 ans d’exil pouvez-vous honnêtement parler d’une seule nation, d’ une culture unique?
Pouvez-vous parler d’un héritage unique ou peut-être une seule tradition juive? « 

Ben Gourion avait alors répondu:

« Il y a quelque trois cents ans, le Mayflower chargé d’immigrants vers le nouveau monde, quittait les rives d’Angleterre. C’était un évènement de première importance, tant pour l’Angleterre que pour l’Amérique. Mais on aimerait savoir s’il existe un Anglais qui sache la date exacte de cet embarquement et combien la savent parmi les Américains ? Et savent-ils le nombre d’émigrés embarqués sur ce navire ? Et quel genre de pain ils mangeaient en partant ? … Voici pourtant que, quelque trois mille et trois cents ans avant le Mayflower, les Juifs sont sortis d’Egypte, et tous les Juifs de monde, en Amérique comme en Russie, savent exactement la date de ce départ qui est le 15 du mois de Nissan. Et ils savent tous exactement quel genre de pain ils mangeaient, un pain non levé. Et jusqu’à ce jour, le 15 Nissan, tous les Juifs du monde mangent du pain azyme. Ils racontent, et la sortie d’Egypte et les souffrances qu’ont dû subir les Juifs depuis le jour où ils ont été dispersés, et ils terminent ce récit par deux phrases : Cette année esclaves, l’an prochain homme libres à Jérusalem. »

Pour finir j’aimerais vous faire entendre le dernier chant du Seder de Pessah dans sa version  judeo-espagnol tel qu’il était chanté à Salonique, au Maroc et ailleurs…

A bientôt,

PS Je prie mes chers  abonnés de pardonner ma mauvaise manipulation de ce matin. Ils ont reçu un article qui n’était pas fini. La faute en est au ménage de Pessah!

*André Neher (1914-1988) est un  écrivain et philosophe juif alsacien qui fut avec Emmanuel Levinas et surtout Leon Ashkenazi (Manitou) l’un des fondateurs et artisans de  qu’on a appelé l’Ecole de Pensée Juive de Paris et un des principaux artisans du renouveau du judaïsme français après la Shoah, il émigrera en Israël peu après  1967, en réponse à la fameuse phrase du Général de Gaulle qualifiant le peuple juif de « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur »

Il cosignera avec son épouse, Renée Neher,  l’Histoire biblique du peuple d’Israël, ouvrage de référence que j’appelle la Bible de ceux qui aiment la Bible. et lui même publiera de nombreux ouvrage de pensée juive dont Moise et la vocations juive, Le puits de l’exil, L’exil de la parole…etc…

3 réflexions sur “Et vous raconterez à vos enfants…

  1. Je connaissais un peu André Neher, mais superficiellement. Vous me donnez l’envie d’en savoir plus. Merci. Et comme je dois me rendre cet été en Corrèze, j’irai faire un tour du côté du hameau de Lanteuil. Les Juifs alsaciens ont beaucoup donné à la France et au monde. Quand on s’intéresse à l’Inde, on ne tarde pas à rencontrer Sylvain Lévi.

  2. Parlons-en du ménage de Pessah !
    Quand on glisse peu à peu dans la période du ménage, les femmes commencent à flipper !!!
    Merci les mains rougies par les produits ménagers. Je sais, je pourrais mettre des gants mais non…j’oublie !
    Bonjour le dos en charpie tellement on fait de gym. Bonjour la bouffe à rallonge pour faire plaisir à chacun…
    On arrive au soir du premier Seder, on est vannées !!!

    On envie ces bonnes femmes qui vont faire Pessah au soleil et ne se tapent pas la corvée du ménage et de la bouffe et puis…en y réfléchissant, on se dit que grâce à ce gros boulot on a retrouvé plein de trucs qu’on croyait à jamais perdus.
    Le soir du Séder, épuisées par toutes ces corvées, on se sent bien…à notre place…apaisées et ravies de voir tous nos visages aimés. Le jeu en valait la chandelle tant qu’ils sont là, près de vous, commentant joyeusement la meilleure façon de boire son vin, accoudés du bon côté…

    J’adore Pessah !

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